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Les quatre tours : Chapitre I : Europa 151. David.
-David ! Viens on va être en retard à l’école !
David, huit ans, était trop préoccupé à regarder ce qui se passait sur sa droite. Déjà, il y avait cette personne bizarre. Elle ressemblait en tout point à quelqu’un de normal, mais quelque chose clochait, il ne savait pas dire quoi. Comme si cette femme n’était en fait pas humaine. Cela le fit sourire. Enfin quelque chose qui sortait de l’ordinaire.
-David ! On va se faire gronder par Madame Stone !
Alicia, sa petite sœur de six ans, avait vraiment peur de se faire disputer. Il faut dire que Madame Stone, la directrice de l’école, n’avait pas bonne réputation. On disait même que les enfants avaient peur d’elle jusqu’au moins l’étage 1’000’000.
-Pars en avant, répondit David. Je te rejoins.
-D’accord, lança Alicia en se mettant à courir aussi vite qu’elle le pouvait.
Alicia ne risquait rien. En cette journée de Janvier, la température était de trente six degrés Celsius. Un peu frais pour cette journée d’hiver. Peut-être que la climatisation déraille, se dit David. Ce ne serait pas la première fois. Un jour l’hiver dernier, la température était descendue à vingt cinq degrés. Il se souvint qu’il était frigorifié. La température dans la tour descendait rarement sous les trente cinq degrés. Il n’y avait pas de véhicules. Soit l’on marchait, soit l’on utilisait les translateurs pour se déplacer dans l’étage. Les ascenseurs étaient réservés car il était interdit de changer d’étage, sauf autorisation spéciale.
Car David vivait dans une tour. Une des Quatre Tours. La Tour Europa.
En l’an 2158, la surpopulation fût telle que les Hommes décidèrent de construire quatre immenses tours pour se loger. Quatre tours identiques. Un diamètre d’environ deux cents kilomètres, et s’élevant jusqu’au delà de l’orbite géostationnaire. Trente six mille kilomètres de haut. Trois millions d’étages, ayant chacun une hauteur de plafond allant de dix à deux cents mètres selon les classes. L’Humanité avait mis cent quarante quatre ans à les construire. Le reste de la Terre était devenu un vaste champ, prévu pour nourrir les habitants des tours. Des outils automatisés s’occupaient de tout et ramenaient la nourriture par cargo dans les tours.
Les habitants étaient distribués dans les étages par classe. Pour faire simple, plus on était riche, plus on était haut et plus la tour était agréable à vivre.
Les 150 étages bas étaient des étages techniques. Climatisation, locaux techniques, informatique, salles serveurs, gestion des ordures, tout était fait, en automatique, dans ces 150 étages. Comme c’était automatisé, très peu de personne y avaient accès. Et c’est ce qui turlupinait David. Car la femme presque normale essayait d’ouvrir la porte qui menait aux étages techniques. Habitant l’étage 151, ils étaient l’accès principal à pied vers ces étages interdits.
Bien qu’il n’ait que huit ans, ils se posait déjà plein de questions. Si elle était habilitée à accéder aux étages techniques, pourquoi n’avait-elle pas pris l’ascenseur ? Car elle venait forcément d’en haut. C’est la première fois de sa vie qu’il voyait quelqu’un franchir cette porte. C’était d’ailleurs la première fois qu’il voyait cette porte ouverte. Et c’était même la première fois qu’il voyait quelqu’un d’un autre étage. Peut-être était-ce pour cela qu’elle lui semblait bizarre? Les habitants des autres étages étaient-ils humains? Son esprit se mit à divaguer.
Il tourna la tête vers sa sœur qui s’éloignait en courant de ses petites jambes ridicules.
Il tourna la tête vers la porte de la technique.
Autour de lui, la brume se formait, signe que la climatisation allait se remettre en route et que la température allait remonter vers quarante degrés. Les murs de métal froid reflétaient les lumières des néons du bar d’en face dont le tenancier lavait les tables. L’homme ne le regardait pas.
Devant lui, la femme bizarre avait ouvert la porte et s’apprêtait à la franchir.
David tourna sur lui-même pour observer le peu de passant. Tout le monde était déjà au travail, et ceux qui n’en avaient plus dormaient encore d’avoir consommés leurs peu de crédits restants dans l’alcool du bar d’en face. Dont son père.
Personne ne le regardait.
– Tu va faire une bêtise, chuchota une petite voix dans la tête de David.
-Je sais, se répondit-il à voix haute.
-Maman va te gronder. Et Madame Stone aussi.
-Oui.
-Et Papa va encore te frapper.
Son visage se referma.
-Je sais, s’avoua-t-il.
Son père était violent quand il avait bu. Et depuis qu’il avait été licencié de l’usine de robots, il buvait beaucoup. Beaucoup trop, même. Alicia et Maman étaient ses cibles préférées, car David commençait à savoir se défendre. Ce qui ne l’empêchait pas de se prendre une bonne raclée. Parfois même il se laissait faire, dans l’espoir qu’il passe ses nerfs sur lui et que Maman et Alicia soient tranquilles. Ce qui restait globalement très rare.
Un dernier coup d’œil circulaire. Personne ne le regardait.
-Mauvaise idée, chuchota la voix.
-Très mauvaise, ajouta David. -
Canary Bay : Chapitre I
New Bangkok. La ville du vice et de la débauche. Paul Anderton déambulait dans les rues mi bitumées, mi boueuses de la vieille ville.
Autour de lui, les grattes ciels en partie en ruines, détruits par la Guerre du Millénaire, côtoyaient les nouvelles constructions qui arboraient fièrement leurs néons roses bonbons représentant des femmes nues ou des enseignes de maisons closes.
Les rues fourmillaient de vendeurs à la sauvette qui tentaient de refourguer leurs rats rôtis, leurs hamburgers de poissons ou leurs insectes grillés aux visiteurs, habitants, et touristes en tout genre.
Un homme heurta son épaule et le regarda d’un air menaçant. Paul baissa les yeux et continua sa route. Il savait comment fonctionnait ce genre de loustics. Ils savaient utiliser toutes les ruses pour vous chercher des noises. Toutes les raisons étaient bonnes pour vous tabasser. Et vous piquer votre fric, au passage.
Il le savait mieux que quiconque, New Bangkok était une ville dangereuse. Et pour cause, il pratiquait lui aussi divers petits larcins, notamment à base d’arnaque. La baston n’était pas son truc. Parfois il bossait aussi pour des mecs pas très nets. C’est pour cette raison qu’il était là aujourd’hui.
Il revenait de Bang Ken, au nord de New Bangkok. Il venait de réussir son meilleur coup. Son plus gros coup. Le meilleur coup qu’il aurait pu imaginer. Il avait réussi à braquer les Triades du Nord et leur voler leur bien le plus précieux.
Il passa devant la vitrine du Maxi Monster Friend, dont le verre brouillé grisâtre laissait voir la silhouette d’une femme nue située derrière. Ses mouvements laissaient peu de place à l’imagination quant à savoir quel genre d’individu était placé derrière elle, et ce qu’il lui faisait. Il fût tenté de s’arrêter, mais préféra attendre d’avoir fini son travail.
Sur sa gauche se profilait maintenant l’entrée du Jack Rabbit’s Royal Casino, destination préférée des touristes qui pensaient venir faire fructifier leur maigre capital dans le but de s’offrir une heure ou deux de plus avec une prostituée. Il se retourna pour être sûr de ne pas avoir été suivi, puis se dirigea vers la porte, ou un molosse en costard attendait de pouvoir casser la gueule au premier qui le ferait chier.
“ Vous avez des armes, demanda le balèze.
-Oui, répondit Paul. Mais pas sur moi. ”
Il ne mentait pas, pour une fois. Il savait pertinemment que, armé, il ne serait jamais entré. L’homme le fouilla rapidement.
“ T’a une tête de fouteur de merde, lança le videur. Si tu essayes ici, je te bute.
-C’est de bonne guerre ”, répondit Paul l’air penaud.
Le videur ouvrit la porte, et aussitôt une bonne odeur monta au nez de Paul. L’odeur du fric. L’endroit puait le pognon sans commune mesure. Après un grand hall avec la caisse où l’on pouvait échanger ses jetons, une vaste salle se présentait, pleine de jeux divers, et surtout de gens venus claquer leur fric.
La moquette au sol était d’un rouge vif, et la beauté de l’endroit n’avait d’égal que la pauvreté qui régnait dans les rues, juste de l’autre côté de la porte. Les jeux étaient variés : les classiques Black Jack et tables de poker côtoyaient, dans un coin, plusieurs tables de Speed Dozer qui réunissaient un peu de monde. Le plafond était d’un blanc immaculé, orné de dorures et servant d’attache à des lustres à pampilles dont la véritable nature des diamants n’était même pas discutable
“ Paul ! Paul qu’est ce que tu fout la ? ”
Jimmy était arrivé de la gauche. Bien fringué, comme toujours. C’était un ami de Paul. Un peu devenu une sorte d’ange gardien qui tentait de lui éviter de faire trop de conneries.
“ Salut Jimmy ! Tu vas…
-Mais tu est maboul ? Tu as une quelconque idée de ce que te fera Zhen si il sait que tu est ici ?
-T’inquiètes pas ma poule. Je suis venu me racheter. Il ne voudra plus me tuer après ça !
-Si il te laisse le temps de parler !
-Fais-moi confiance, Jimmy… pour une fois que je sais ce que je fait ! ”
Jimmy fit une tête déconfite.
“ C’est ce qui m’inquiète le plus”, répondit ce dernier.
Ensemble ils se dirigèrent vers le fond de la salle, où une porte blindée trônait fièrement entre deux gardes du corps encore plus patibulaires que le type de l’entrée.
“Je viens voir Zhen, annonça Paul.
-Putain de merde, lança un des gardes. T’a des couilles pour te pointer ici après ce que t’a fait au boss.
-C’était un malentendu, répondit Jimmy. Enfin je pense.
-Allez entre la tafiole. Je suis pressé de voir comment il va vous buter.
-Vous, répondit Jimmy. Comment ça, vous ? J’ai rien fait moi ! ”
Le garde ouvrit la porte et Paul entra. Le garde bloqua Jimmy.
“ Toi le pingouin tu reste la ”, lâcha le vigile.
La porte se referma lourdement derrière Paul. Au bout de quelques instants à déambuler dans les couloirs. Sur les côtés, des portes donnaient sur des pièces ou des agents comptaient l’argent. Il arriva enfin dans les salons privés de Zhen. Celui-ci, assis dans un canapé d’un rouge criard, l’accueillit froidement.
“ Paul Anderton! Par tous les dieux, tu es le mec le plus couillu que je connaisse ! Je suis curieux de savoir comment tu ose te présenter devant moi avec tout le fric que tu m’a fait perdre !
-Bonjour Zhen. Je sais j’ai merdé sur le coup des Américains.
-Merdé, s’emporta Zhen en se levant d’un bond comme un diable sort de sa boîte. Merder, c’est quand tu trompe ta femme et que tu te fais chopper ! Me faire perdre deux millions de crédits c’est salement au-dessus de ça !
-Je suis venu pour me faire pardonner. ”
Zhen explosa de rire.
“ Te faire pardonner ? Tu pense quoi, Paulo ? Que je suis ta mère ? Emmenez ce gars dans la ruelle et butez-le !”
Alors qu’un vigile allait l’attraper, Paul sortit un objet de sa poche. Un mû. Un petit objet autonome capable de contenir une quantité effroyable de données et une intelligence artificielle de base. Le genre d’objet qui avait été interdit après la Guerre du Millénaire. La guerre contre les machines. Le genre d’objet qui n’était désormais détenu que par quelques parrains de mafias, et dont la technologie pour l’exploiter avait été bannie. En le voyant, Zhen se ravisa.
“ Attendez ! Qu’est-ce que c’est, demanda-t-il.
-Tu le sais très bien, Zhen. Je suis sur que tu as à peu près le même. Un mû contenant une comptabilité noire, des dossiers explosifs, et des preuves de pleins de choses qui pourraient faire tomber un cartel. Ou une mafia. ”
Zhen paraissait de plus en plus intéressé.
“ Une fois que tu en aura extrait ce qui t’intéresse, et je sais que tu as le technologie pour, tu pourra les envoyer à la police, et faire tomber facilement les propriétaires de ce mû.
-Et… A qui appartient-t-il ? ”
Paul sourit.
“ Aux triades du nord. Quand elles seront tombées, tu sera le seul maître de New Bangkok. ”
Zhen sourit à son tour, s’approcha de Paul et enroula son bras autour de son cou dans un geste amical.
“ J’ai toujours su que tu étais un mec bien et que tu allais te racheter, Paulo. Tu veux un verre ?
-Non merci, Zhen. Je vais repartir. Je voulais juste régler cette affaire rapidement pour éviter que tu ne mette ma tête à prix.
-C’est une idée judicieuse que tu as eu ! Tu es sur que tu ne veux rien avant de partir ?
-Si ce n’est pas abuser, juste vingt crédits pour prendre un taxi. J’habite le vieux Samut Sakhon maintenant, et c’est pas la porte à côté à pied…
-Samut Sakhon ? C’est là que tu te planquais alors ? Vieil escroc ! Filez cent crédits à cet homme, qu’il puisse au moins aller aux putes !”
L’intérieur du Maxi Monster Friend tenait bien les promesse que sa vitrine en verre brouillé grisâtre donnait. Paul constata avec étonnement que le salon principal permettait déjà d’avoir un aperçu des femmes, des hommes et autres individus non binaires qui louaient leurs corps contre quelques crédits.
Il se présenta à l’accueil à une bien jolie demoiselle – mais était-ce vraiment une femme ? – qui lui demanda quelles étaient ses envies. N’étant pas fixé, elle lui présenta un écran et fit défiler des photos de ses employés disponibles.
Il jeta son dévolu sur une Transexuelle du nom d’Anya qui avait un physique qui lui plaisait bien. La gérante attrapa un talkie walkie et baragouina dans un langage que seuls les tenanciers de bordels semblaient connaître. Quelques instants plus tard, Anya arriva. Grande, brune, peau foncée. Elle portait un soutien-gorge de cuir noir et une mini jupe que Paul qualifia en pensée de “vraiment mini”.
“ Tu veux de l’exib ou tu préfère être tranquille, demanda-t-elle.
-Je préfère un peu de calme ”, répondit Paul.
Elle le prit par la main et l’emmena dans un long couloir. Certaines parois étaient opaques, d’autres grisées. D’autres encore entièrement transparentes, laissant voir des couples, des trios, ou plus, s’adonner à tous types de relations sexuelles. Hétéro, gays, lesbiens, fétichistes. Tout était représenté sans aucun tabou.
Ils entrèrent dans une pièce à la lumière tamisée et sans vis-à-vis. Il ferma la porte derrière lui et donna un tour de verrou.
La faible lumière permettait difficilement de voir toute la décoration de la pièce, qui devait être spartiate selon Paul. Dans un coin, un matelas posé au sol était visible dans la pénombre.
Anya se colla à Paul et l’embrassa goulument. Il passa ses mains derrière elle et dégrafa son soutien-gorge. A son tour, elle enleva le t-shirt de Paul. Il sentit alors ses petits seins galbés contre sa propre poitrine, ce qui fît monter son excitation. Quand elle se recula et fit tomber sa jupe, elle mit à jour un pénis d’une taille plus que raisonnable. Paul fût un peu surpris par la taille de la verge, puis se rapprocha d’elle pour l’embrasser à nouveau.
Le lendemain, Paul se réveilla chez lui, dans son lit, l’esprit tranquille. Il avait enfin pu dormir sur ses deux oreilles, sans craindre d’être trouvé et assassiné par les sbires de Zhen. Il s’assit, complètement nu, et bu un peu d’eau trouble dans le verre situé sur sa table de chevet. Le mal de tête qui commençait à se déclarer lui confirma que de l’eau, et uniquement de l’eau, serait la boisson idéale pour la journée. Sa chambre, qui était aussi sa salle à manger, cuisine, salle de bains, toilettes, était dans un état pitoyable. Crasseux et tout le contraire du casino luxueux où il était la veille. Sur un mur, une photo de lui et Jimmy quand ils étaient jeunes, jouant dans les rues en ruine de New York.
Alors qu’il se levait, quelqu’un tambourina à la porte. Une voix masculine se fit entendre.
“ Paul ! Ouvre vite, c’est Jimmy !
-Du calme, j’arrive !”
Il chercha tranquillement un caleçon à peu près propre à enfiler. Il se dirigea vers la porte où Jimmy continuait de s’exciter.
“ Qu’est-ce qui t’arrive Big Jim? T’a forcé sur le Speed? Je t’ai déjà dit que ça allait te bousiller la santé… ”
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase, Jimmy était déjà entré et avait claqué la porte derrière lui. Il paraissait paniqué.
“ Putain Paul, mais qu’est-ce que t’a foutu?
-Quoi? J’ai rien fait pour une fois ! Tu va m’expliquer ce qui ce passe ?
-Il se passe que tôt ce matin les triades du Nord se sont pointées au Jack Rabbit’s ! Ils ont buté plein de monde et sont répartis avec un mû ! Leur mû ! Celui que tu leur a piqué ! ”
Paul changea de couleur.
“ Et Zhen, demanda-t-il, fébrile.
-Zhen, a survécu, et il a mis ses équipes sur toi ! Ta tête est mise à prix à plus de cinq mille crédits ! Ils vont venir, tu dois te barrer vite fait ! ”
A ce moment, une vitre de l’appartement vola en éclats, transpercée par des balles, et Jimmy s’effondra au sol, la tête et le corps criblés de balles.
Paul se jeta au sol pendant qu’autour de lui, les balles sifflaient, faisant voler en éclats la table de chevet, l’oreiller, et divers objets. Les fenêtres explosaient toutes les unes après les autres. Il regarda Jimmy, étendu au sol. Il allait l’appeler mais se retint quand il vit que sa cervelle n’était plus entièrement dans sa boîte crânienne.
Il profita alors d’une accalmie pour se lever et se diriger vers la porte d’entrée en courant, mais une autre salve l’en empêcha. Il bifurqua et plongea au travers de la fenêtre arrière, déjà explosée. Ce faisant, il chuta d’un étage et atterrit dans une benne à ordures pleine. L’odeur l’aurais fait vomir si il n’avait eu qu’une idée en tête : fuir encore, et loin.
Jimmy, le pauvre Jimmy. Il le pleurerais plus tard. Il savait qu’il avait un bateau dans le vieux port. Enfin, plutôt une coquille de noix. Mais ça suffirait pour s’enfuir. Seul problème : survivre aux deux kilomètres qui le séparait du port.
Il se mit donc à courir, en caleçon et pieds nus, sur la route boueuse, entre bâtiment en ruines et prostituées transexuelles. Quelques étals de fruits et légumes radioactifs lui barraient parfois le chemin, mais il les esquiva.
Il fit une pause. Il lui semblait être débarrassé de ses agresseurs. Personne ne le suivait. Alors qu’il reprenait son souffle, un bruit de moto rompit le silence. Paul regarda dans la direction du bruit et aperçu un homme sur une moto noire, fonçant sur lui. Une arme automatique à la main. Paul se remit à courir vers le port, tentant de slalomer pour compliquer la visée de son agresseur. Des passants tombèrent autour de Paul, victimes de balles perdues. La moto se rapprochait dangereusement, et Paul eut une idée en voyant une barre de fer dépasser d’un tas d’ordures au sol. Il la saisit en courant, et quand la moto fut sur lui, il tenta de donner un coup au conducteur, qui l’evita avec une facilité déconcertante. Paul prit alors un risque et tenta de placer la barre dans la roue avant de la moto et réussit. Le véhicule fit un soleil et le conducteur fut propulsé loin devant par les airs, pour aller s’écraser dans un mur.
Paul récupéra la moto tombée au sol, enleva la barre qu’il venait d’y fourrer, l’enfourcha et partit en trombe. Une deuxième moto apparut sur sa gauche et le prit en chasse. De nouvelles salves de balles jaillirent et le manquèrent de peu. Il accéléra autant qu’il le pouvait, et évita de justesse un étal de fruits. Son poursuivant ne prit pas la peine de l’éviter et passa au travers. Le pauvre commerçant leva les bras au ciel en baragouinant dans la langue locale.
Au loin, Paul vit le port apparaître. Il repéra rapidement le petit bateau de Jimmy au bout d’un ponton de bois et s’y dirigea. C’était l’un des seuls bateau encore en métal. Depuis la guerre, les bateau en bois, quelque soit leur taille, étaient revenus à la mode.
Derrière lui, les balles sifflaient toujours. Un de ses rétroviseurs explosa. Alors qu’il allait s’engager sur le ponton et qu’il commençait à se poser la question de comment monter sur le bateau et le démarrer sans se faire tuer, une balle fit exploser son pneu arrière et il bascula sur le côté. Il dérapa sur le flanc de la moto qui continuait sa course folle sur le ponton, et se souvint avec douleur qu’il était encore en caleçon. Sa jambe droite lui faisait horriblement mal et lui semblait en feu. Il poussa un cri de douleur.
La moto continua de s’approcher du bord à une vitesse folle, jusqu’à finalement tomber dans l’eau avec son occupant. Il coula à pic et se maintint à la moto, alors que son poursuivant s’arrêta net au bord de l’eau pour vider son chargeur sur la surface.
Sous l’eau, Paul pouvait voir les balles entrer dans l’eau et tracer des sillons de bulles. Il nagea sous l’eau malgré l’horrible douleur qui irradiait dans sa cuisse, pour finalement ressortir discrètement sous le ponton, et attendre le départ du motard assassin. Il attendit encore ce qui lui semblait être une dizaine de minutes et se dirigea à la nage vers le bateau de son ami. Il y monta discrètement par bâbord et se coucha aussitôt pour ne pas être vu. Sa cuisse le faisait horriblement souffrir et la blessure avait vraiment une mauvaise mine.
Le bateau était vraiment ridicule par rapport aux autres présents dans le port. Environ cinq mètres de long sur deux de large. Paul se hissa jusqu’au poste de pilotage et récupéra la clé dans la partie secrète taillée par Jimmy. Ce con paumait toujours ses clés, aussi il les cachait partout où il en avait besoin…
Il démarra le bateau et poussa les gaz a fond pour s’éloigner le plus rapidement possible du port. Une fois à bonne distance, il s’effondra et s’autorisa à regarder sa cuisse. Celle-ci lui faisait atrocement mal. Il s’examina rapidement et conclut qu’aucune balle ne l’avait touché, malgré le nombre de cartouches tirées. Il repensa à Jimmy. L’espace d’un instant il eut honte de l’avoir abandonné. Mais il était mort, que pouvait-il faire d’autre ?
Il était mort.
Mort par sa faute.
Il se sentait coupable, comme si il avait lui-même pressé la détente.
Il avait pourtant été fier de son casse chez les triades du nord. Un beau coup, discret mais exceptionnel. Il pensait ne pas avoir été repéré. Grossière erreur.
Il était maintenant sur un bateau, grièvement blessé à la jambe. Son meilleur et seul ami était mort et il n’avait aucune foutue idée de où aller. Il sentit une vague de froid l’envahir, et s’endormit.
Quand il se réveilla, le soleil avait sérieusement entamé sa course vers l’océan et la rencontre serait pour bientôt. Le moteur du bateau était arrêté. Autour de lui, rien d’autre que l’immensité de l’océan. Sauf quand il regarda vers la poupe du bateau. Il écarquilla les yeux. Un énorme navire en bois fonçait droit vers lui. Il le reconnu immédiatement.
Une voix familière lui parvint, amplifiée par un antique porte voix. C’était Zhen.
“ Pas la peine de t’enfuir, Paulo. J’aurais ta peau même à l’autre bout du monde. ”
Paul se releva et tenta de redémarrer le bateau. Impossible. Il n’avait plus de carburant. Mais bon sang combien de temps avait-il dormi ?
Il se retourna alors, pour faire face à son destin. Il s’attendait à sentir la douleur lancinante d’une blessure par balle d’un instant à l’autre. Il voulait fermer les yeux mais n’y arrivait pas. Sur le pont, les sbires de Zhen paraissaient peu charitables. Le navire se rapprochait de plus en plus. Un des hommes pris un pistolet lance harpon, visa le bateau de Paul et fit feu. Le harpon, suivi par une corde, s’élança à une vitesse vertigineuse mais s’arrêta net à quelques mètres de Paul, avant de tomber à pic dans l’océan. Paul ne comprit pas ce qui venait de se passer.
Le bateau de Zhen continuait à se rapprocher dangereusement. Alors que l’homme au lance harpon essayait de comprendre ce qui venait de se passer, tout comme Paul, le bateau s’arrêta net, secoué d’un immense tremblement. Comme si il avait heurté un mur invisible, l’immense bateau se ratatina. Sa poupe s’écrasa sur elle-même et, l’arrière poussant, continua de s’écraser. Paul avait l’impression d’être derrière une vitre et que le bateau était en pâte à modeler. Il n’entendit aucun bruit, alors que le bruit aurait dû être assourdissant. Ou l’était sûrement de l’autre côté du mur invisible. Inexorablement, le bateau coula, à moins de dix mètres de Paul, avec tout son équipage. Et Paul le regarda, impuissant. Sans comprendre ce qu’il se passait.
Le navire sombra totalement, et Paul ne vit personne réapparaître. Tout le monde était mort.
C’est alors qu’un bruit aigu lui transperça les tympans. Aussitôt il se boucha les oreilles avec les mains mais le son était trop fort. Le bruit se fit de plus en plus fort. Il avait l’impression que sa tête allait exploser. Il n’entendit pas son moteur, pourtant vide de tout carburant, démarrer. Il s’évanouit. -
Angèle
– On arrive bientôt ? Demanda Jonathan.
Son père, qui conduisait la petite voiture remplie à raz-bords de valises et de sacs, jeta un œil sur le GPS lancé sur son téléphone, puis soupira.
-Pour être honnête avec toi je n’ai aucune idée de où on est. Je pense que le GPS est planté. Tu peux essayer de relancer mon téléphone, s’il te plaît ?
Le petit véhicule fonçait, dans les limites imposées par la loi, sur la route bordée d’arbres depuis plusieurs heures.
Au détour d’un virage, la voiture fit un violent écart pour éviter un arbre tombé sur la route. Le véhicule l’évita de quelques centimètres à peine, puis reprit sa vitesse initiale.
Une fois remis de ses émotions, Jonathan allait saisir le téléphone accroché au tableau de bord par une ventouse quand celui-ci se mit à afficher des points de couleurs cachant l’application. Jonathan appuya sur le bouton pour l’éteindre, mais l’appareil ne voulais rien entendre.
-J’y arrive pas, papa.
-Ne t’embête pas on va s’arrêter ici pour faire une pause et savoir où l’on est.
L’afficheur du téléphone devint intégralement blanc quand le véhicule passa devant le panneau d’entrée d’agglomération indiquant « Somnore ».
Louis, le père de Jonathan, pouffa de rire en lisant le panneau.
-Somnore, dit-il. Ça doit être une ville remplie d’hôtels avec un nom pareil.
Jonathan ne répondit pas. Du haut de ses quatorze ans, il en avait plus que marre des blagues de son père. Elles étaient plus pourries les unes que les autres, et pourtant son géniteur était persuadé d’être drôle. Jonathan, malgré tout le respect qu’il devait à son père, et Dieu sait s’il le respectait, le trouvait plus ridicule que drôle. La route semblait interminable. Ils avaient désormais dépassés le panneau indiquant l’entrée dans la ville depuis plusieurs kilomètres, mais ils continuaient de rouler au milieu des arbres.
-Papa? Lâcha finalement Jonathan.
-Oui, Jo?
L’adolescent marqua une pose puis eu un petit sanglot. Ses yeux se remplirent de larmes qui refusaient de couler.
-Maman ne manque, finit-il par dire.
Son père tourna la tête vers lui et lui posa la main sur l’épaule. Jonathan regardait ses pieds.
-Je sais, fils, répondit Louis. Je sais.
Jonathan releva les yeux vers la route et hurla.
-Attention !
Louis tourna la tête précipitamment et appuya de toutes ses forces sur la pédale de frein. Le pare-choc de la petite voiture noire s’arrêta à quelques centimètres des tibias d’une jeune fille de l’âge de Jonathan. Celui-ci la regarda, comme sous le charme. De taille moyenne, les cheveux longs d’un noir corbeau, les yeux verts émeraude, la fille était plutôt concentrée sur le chauffeur.
-Ca va pas non, cria-t-elle. Pour une fois que je traverse sur le passage piéton !
Sur ces mots, elle continua son chemin sous le regard abasourdi de Louis et sous les yeux déjà amoureux de Jonathan.
La suivant du regard, ils s’aperçurent qu’ils était en ville. Plus d’arbres, ou très peu. Des maisons, une fontaine sur la gauche, une bibliothèque à droite.
Louis se retourna pour regarder derrière mais se rappela bien vite qu’il ne pouvait rien voir, car la vue était bouchée par toutes les valises. Il regarda alors dans chacun de ses rétroviseurs. Pas de forêt à l’horizon, ils étaient au cœur de la ville.
-On était pas en forêt y’a trois secondes ? demanda Louis.
-Je… Je sais pas, répondit Jonathan. Je regardais mes pieds.
-On va se dégoter un gîte ou un truc du genre pour passer la nuit, t’en penses quoi ?
Jonathan chercha des yeux l’heure de la voiture, mais le chiffre des minutes changeait plusieurs fois par secondes. Il regarda alors sa montre connectée et s’aperçut qu’elle n’avait plus de batterie. Idem pour son téléphone et celui de son père.
-J’ai aucune idée de l’heure qu’il est, répondit finalement Jonathan. Mais je suis pas contre une pause, j’en ai marre de la voiture.
Ils roulèrent encore quelques centaines de mètres puis le véhicule s’arrêta devant une large maison devant laquelle un panneau indiquait, solidement ancré dans l’herbe du jardin en façade, « Chambres à louer pour une ou plusieurs nuits ». Juste en-dessous, un petit panneau avait était ajouté, pour compléter l’information. « Petits déjeuners compris ».
Le quartier sembla paisible à Louis, ce qui le rassura. Il savait que Jonathan voudrait sortir se balader seul ce soir. Il le faisait tout le temps en ce moment. Depuis que sa mère était partie. Depuis ce stupide accident de moto.
Louis sentit ses yeux se mouiller, mais il se retint. Il ne voulait pas pleurer devant son fils, il n’avait pas besoin de ça.
Il sortit du véhicule, accompagné de son fils. Quand ils s’éloignèrent, la voiture se verrouilla seule en émettant un petit signal sonore. Ils furent rapidement sur le perron de la maison et Louis approcha la main de la sonnette. La porte s’ouvrit avant qu’il n »eût le temps d’appuyer.
-Bonjour, dit la femme d’âge mûr qui se tenait dorénavant dans l’ouverture. Je vous attendais.
Louis eut l’air surpris.
-Oh, euh… Il doit y avoir un malentendu. Nous n’avons pas réservé.
-Je le sais, répondit la femme. Les gens ne réservent jamais quand ils viennent à Somnore. Il est fréquent qu’ils arrivent par surprise.
-Oui, répondit Louis. C’est un peu ce qui nous est arrivés. Notre GPS est tombé en panne et nous n’avons aucune idée de où nous sommes. Pourrions-nous passer la nuit dans votre établissement ?
-Bien sur. Nous sommes la pour ça. Entrez je vous prie.
La chambre était grande, avec un lit pour chacun des deux hommes. Une porte a droite donnait un accès à une salle de bains assez sommaire mais tout de même équipée d’une douche et d’un lavabo.
-Les toilettes sont sur le palier, communs a tout l’étage, dit la dame. Ils sont indiqués par un petit panneau. Impossible de se tromper.
-Merci Madame, répondit Louis.
Jonathan enchaîna sur un timide merci a peine audible.
-J’oubliais, continua la propriétaire. Il est bien entendu interdit de manger dans les chambres. Pour le repas de ce soir, j’aurais pu vous conseiller un bon petit restaurant à peine cent mètres plus loin mais il est fermé aujourd’hui. Comme vous êtes nos seuls clients, vous pouvez vous joindre à nous pour le souper.
-C’est très gentil de votre part madame, dit Louis, mais nous ne voudrions pas…
-Ce sera servi à dix-neuf heures, le coupa la femme.
Louis fut surpris du ton impératif utilisé. Il sourit.
-Très bien. Dix-neuf heures. Merci à vous.
-A tout à l’heure messieurs.
Elle ferma délicatement la porte, et Louis se retourna vers son fils.
-Et bien, dit-il. Elle est dure en négociations !
Jonathan sourit sans répondre. Il regarda une horloge murale à aiguilles qui indiquait que le repas serait servi dans vingt minutes. Sa trotteuse ne semblait pas dans sa meilleure forme, ce qui laissa Jonathan présager d’un décalage horaire indéterminé. Il s’assit sur un des lits et fut agréablement surpris par son confort.
-On ira chercher nos affaires pour la nuit dans la voiture après manger, dit finalement Louis, s’asseyant sur l’autre lit. Tu es penses quoi ?
Jonathan marmonna ce qui semblait être une affirmation. Son père s’assit sur l’autre lit, face à lui et prit une grande inspiration.
-Tu sais, commença-t-il.
-Le repas est servi, dit la voix de la femme derrière la porte.
Louis, surpris, écarquilla les yeux. Puis il pouffa de rire, accompagné par Jonathan.
Chacun d’un côté de la table, Louis et Jonathan se regardaient fixement sans comprendre. La table était assez vaste pour recevoir une douzaine de personnes mais ils n’étaient que deux. La femme ne dinerait visiblement pas avec eux.
Dans leurs assiette, que la femme avait ramenées quelques secondes plus tôt, il y avait pour Jonathan une énorme pièce de bœuf grillée avec des frites, et pour Louis une salade César aux dimensions impressionnantes. Ce qui les étonna le plus était que c’était a chacun leurs plats favoris, et qu’ils n’en avaient pas parlé à la femme. Comment l’avait-elle su ? Ou était-ce un pur hasard ?
Ils mangèrent le délicieux contenu de leurs assiettes et se levèrent pour remercier leur hôte. Mais impossible de la trouver. Ni à la cuisine, ni dans le salon, ni même dans les pièces attenantes. Ils se dirigèrent vers la porte et sortirent. Une fois arrivés à la voiture, Louis récupéra deux petites valises sur les sièges arrières contenant le strict nécessaire pour un arrêt a l’hôtel. Il avait prévu qu’il faudrait plus d’une journée pour faire la route. Il était inutile de se fatiguer et de courir le risque de s’endormir au volant en roulant de nuit après une journée complète sur la route.
Un arbre. Couché sur la route.
Louis l’avait subitement vu comme un flash. Il fut subitement étourdi et sentit une légère douleur dans la nuque. Il y passa la main.
-Ca va, papa ? demanda Jonathan.
Louis reprit ses esprits.
-Oui. Oui. Juste un peu fatigué. Et la digestion qui commence, je suppose.
Il referma la voiture, les deux valises à ses pieds.
-Tu peux aller te balader si tu veux, continua-t-il. Je vais remonter nos valises.
Jonathan sourit.
-J’allais te le demander.
-Je sais.
Louis rendit le sourire à son fils.
-Tu veux de l’aide pour rentrer les valises? demanda Jonathan.
-Non ça va aller, elles ne sont pas lourdes. Essaie de ne pas rentrer trop tard on a encore de la route demain.
-Promis papa.
Louis regarda sa progéniture s’éloigner, les mains dans les poches de sa veste, le dos voûté.
Un vrai ado, se dit-il. Pas de doutes.
Jonathan erra un moment dans la ville sous le soleil couchant. Une vingtaine de minutes après avoir quitté son père, les lampadaires s’allumèrent. Il n’avait croisé que peu de monde, et aucune voiture. Il avait vraiment l’impression d’être tombé dans le trou du cul du monde.
Il arriva finalement au centre ville et retrouva des éléments de décors familiers. La bibliothèque était désormais sur sa gauche. La fontaine était à droite, de l’autre côté de la rue. Celle-ci lui fit froid dans le dos. En effet, il pensait qu’il s’agissait d’un personnage de dos. Effectivement la statue surplombant la fontaine tournait le dos à la rue. Mais ce personnage, c’était La Faucheuse.
Jonathan n’était pas doué en arts, ni en histoire. Ni en rien, ailleurs, au grand désespoir de sa mère. Mais il connaissait La Faucheuse et sa signification.
-Hey salut !
Jonathan sursauta. La voix, féminine, venait de derrière lui. Il se retourna et resta bouche bée. D’une taille moyenne, de longs cheveux d’un noir corbeau, des yeux verts émeraude. Jonathan la reconnu immédiatement.
-Euh, salut, répondit timidement Jonathan.
-Je te reconnais, lança-t-elle. C’est toi qui a failli me foutre en l’air sur la route tout à l’heure !
Jonathan rougit.
-Non, c’est pas ça du tout ! C’était mon père qui conduisait et je l’ai distrait… A vrai dire on se croyait encore dans la forêt…
La fille l’écoutait attentivement et laissa un grand blanc à la fin de la phrase de Jonathan. Puis elle sourit et éclata finalement de rire.
-Du calme, Jonathan ! Je te fais marcher !
Jonathan sourit puis se ravisa.
-Comment tu connais mon nom?
La fille rougit à son tour.
-J’ai du entendre ton père le dire, je suppose. Moi c’est Angèle. Enchantée.
-Angèle ? C’est pas commun. Mais très joli.
Elle lui sourit de nouveau.
-Tu fais quoi par ici en pleine nuit? demanda-t-elle.
-J’arrive jamais à dormir si j’ai pas été me balader un peu. Et toi?
Elle baissa les yeux et le regarda en coin, le sourire aux lèvres.
-J’accompagne les âmes égarées.
Elle éclata de rire. Jonathan l’accompagna.
-T’es bizarre comme fille. Drôle, mais bizarre.
-Tu veux je te fais visiter ? Somnore by night, la visite que même New York et Paris nous envient.
-Grave !
Elle lui tendit la main et il la saisit. Ils se dirigèrent vers la bibliothèque.
-Voici la bibliothèque. Bon, la, elle est fermée. Mais sinon elle est sympa.
-Tu es d’ici?
-Oui, répondit-t-elle. J’ai toujours vécu ici.
Elle se retourna face à la rue et enchaîna.
-La statue flippante faut pas y prêter attention. C’est un délire du chef. Enfin je veux dire du maire.
Elle posa son index gauche contre sa tempe et le fit pivoter.
-Il commence à avoir un peu de bouteille alors il devient loufoque.
Jonathan pouffa de rire.
-Excuse-nous pour tout à l’heure. C’est ma faute si l’on père à failli t’écraser. J’étais en train de lui parler et puis il y avait cette forêt… On ne s’est même pas rendu compte qu’on était arrivés en ville.
Elle posa sa main sur son épaule.
-Ne t’inquiètes pas. Je sais. Ça arrive souvent ici. Somnore est un endroit surnaturel.
Il la regarda de travers. Elle n’avait pas l’air de rire.
-Tu es toujours bizarre, dit Jonathan, mais beaucoup moins drôle d’un coup.
-Les gens ici font des choses que personne n’a jamais vu faire. Et ils savent des choses que personne ne devrait savoir.
Jonathan la regarda fixement et balbutia.
-Je… Je ne comprends rien à ce que tu me racontes.
Elle sourit. Un sourire doux, qui rassura Jonathan.
-Suit-moi, dit-elle en lui prenant la main. J’ai des trucs à te montrer. Tu n’est pas ici par hasard.
Ils errent dans les rues de la ville, plongée dans une semi-obscurité, seulement éclairés par les lumières jaunâtres des lampadaires, jusqu’à arriver à un pont. Ne disposant quand à lui d’aucun éclairage public, il n’apparut qu’au dernier moment à Jonathan. En contrebas, on entendait le flot continu d’une rivière avec un débit assez élevé. Les côtés du pont, en pierre, s’élevaient à moins d’un mètre de hauteur. Dans le noir quasi total, les pupilles encore dilatées par les lumières de la ville, Jonathan n’arrivais pas à évaluer la longueur de l’édifice. Il marcha dessus, suivant Angèle, sur une trentaine de mètres. La, elle s’approcha du bord, s’assit dessus, et pivota pour avoir les pieds au-dessus du vide.
-Arrêtes tes conneries, lança Jonathan. Je ne sais pas nager, je ne pourrais pas t’aider !
Dans le noir, il put tout de même distinguer son sourire.
-Je ne vais pas tomber, ne t’inquiètes pas. Tu viens a côté de moi? C’est d’ici que tu pourra voir ce que je veux te montrer.
Il hésita longuement.
-Je ne sais pas si…
-Tu risques quoi? le coupa-t-elle. De tomber ?
-Oui. Je ne sais pas nager, je viens de te le dire.
-Tu ne demandes que ça depuis presque un an. Combien de fois as-tu voulu sauter du pont des cent mètres, après la mort de ta mère ?
Jonathan fut surpris par cette réponse pleine de vérité et eut une vision, comme s’il embarquait à bord du Rêve Express. Il était debout, en pleine journée, sur le parapet du pont des cent mètres comme on l’appelait là-bas. Il voulait sauter. Sa mère lui manquant tellement. Il voulait la retrouver. Plus rien n’avait d’importance. Il fit un pas en arrière. Il voulait le faire, mais n’avait pas le courage. Il avait toujours été peureux. Il se tourna pour retourner chez lui mais un arbre couché lui barrait la route.
Il sursauta. Il était de nouveau dans le noir. Deux mètres devant lui, Angèle lui tournait le dos, les pieds battant dans le vide, fredonnant « Knockin’ On Heaven’s Door », de Bob Dylan. La chanson préférée de la mère de Jonathan.
Il s’approcha lentement, tourna le dos au mur à droite d’Angèle, et s’assit. Il pivota lentement, posa le pied gauche sur le parapet, puis le droit. Il prit une profonde respiration et continua son mouvement. D’abord le pied gauche, lentement. Puis le droit.
Il avait désormais les deux pieds dans le vide. Sous lui, le bruit de l’eau semblait s’être calmé. Il y avait bien un léger bruit sourd, mais qu’il n’arrivait pas à associer au ruissellement d’une rivière.
Lentement, ses yeux finirent de s’acclimater à l’obscurité. Et il distingua ce qui coulait en contrebas. Il tourna la tête pour regarder Angèle. Celle-ci lui souriait. Un sourire doux et compréhensif.
-Je ne comprends pas, dit-il.
-Bien sur que si tu comprends. Ne te cache pas la vérité. Je sais que ce n’est pas évident. Je suis passée par là également avant de devenir ce que je suis. Je ne voulais pas le croire.
Il regarda au ciel et ne vit aucune étoile.
-C’est la forêt ? demanda-t-il. C’est ça ?
-Oui. C’est là que c’est arrivé. Bien entendu, tu n’est pas obligé d’y aller tout de suite. Mais plus vite tu le fait, plus vite tu es tranquille.
Il la regarda a nouveau. Elle lu dans ses yeux qu’il allait le faire. Elle l’avait fait assez souvent pour le reconnaître.
-Passe le bonjour à ta maman de ma part, dit-elle.
Il posa les deux mains sur le muret, souleva les fesses, et partit en avant.
Sans un bruit, sans un cri, il tomba.Louis entra dans la chambre avec les deux valises et les posa devant les lits. Il s’apprêtait à ouvrir la sienne quand il vit que la porte de la chambre était restée ouverte. Il était incapable de dire si il l’avait fermée ou non. Il s’en approcha et regarda dans le couloir. Une lueur rouge semblait venir de l’escalier qu’il venait d’emprunter. Il sortit de la chambre et ne pensa même pas à refermer derrière lui.
La lueur clignotait lentement, s’éteignant et se rallumant progressivement sur une période d’environ cinq secondes. Elle illuminait toute la cage d’escalier, semblant venir de partout et de nulle part à la fois.
Louis s’approcha de l’escalier, puis descendit lentement, faisant courir sa main le long de la rambarde. Arrivé en bas, il vit que la lueur venait de la gauche. Vers la cuisine. Il s’y dirigea donc lentement. Quand il fut dans l’encadrement de porte, un bruit de claquement, comme une porte qu’on claque, le fit sursauter. La lueur disparut. Il continua cependant sa progression et pénétra dans la cuisine.
Cette dernière était propre et bien rangée. Dans le noir, Louis aperçu la lueur rouge sous un bâti de porte fermée sur sa gauche. Il s’en approcha et ouvrit lentement la porte, son visage se faisant lentement inonder de la lumière forte mais étrangement pas aveuglante.
Derrière la porte, un autre escalier semblait descendre dans les entrailles de la terre, suivant un long couloir. La lueur venait d’en bas. Loin en bas.
Louis, poussé par une curiosité qu’il ne se connaissait pas, entreprit la descente.
Quand il fut une dizaine de mètres plus bas, la porte claqua violemment derrière lui, lui faisant de nouveau faire un bond. Poussé par un fort sentiment, il continua malgré tout sa descente. Il arriva en bas après ce qu’il estimait être une cinquantaine de mètres de dénivelé.
La pièce en bas était vaste. Assez vaste pour qu’il ne puisse discerner les parois autour. L’escalier débouchait comme ça, au milieu de nulle part. Le sol était d’un rouge sombre. La lueur semblait émaner du plafond, qui n’était d’ailleurs pas visible non plus.
Louis se pencha et posa un genou à terre. Il toucha le sol de sa main et enfonça sa main dedans pour en prendre une poignée qu’il porta devant son visage et en faire couler le contenu entre ses doigts.
Du sable, se dit-il.
Du sable rouge.
Comme sur la plage, ce jour maudit. Du sable rouge.
Il se releva et se retourna. Il mit plusieurs secondes à se rendre compte que l’escalier avait disparu. Volatilisé, comme si il n’avait jamais existé. Aucune trace de sa présence sur le sol meuble.
Il se surprit lui même à ne pas s’inquiéter. Depuis l’accident de sa femme, il ne s’inquiétait plus que pour son fils. Tout le reste n’était que futilité. Il commença à avancer dans le sable, ses pieds s’enfonçant dans la matière molle. Quand il regarda ses pieds il se rendit compte que, à chacun de ses pas, le sable ne rendait pas de l’eau. Il dégorgeait du sang.
L’instant d’après il était sur une plage. Derrière lui, le bruit du ressac brisait le silence. Au loin, des mouettes jacassaient sans relâche. Et devant lui, à ses pieds, le corps de sa femme était allongé. Tombée de sa moto en voulant absolument en faire sur la plage. Elle s’était cognée violemment contre un rocher après avoir été bien trop vite. Son casque, qui n’avait pas été attaché à la jugulaire, avait volé sur plus de quinze mètres. Quand à la tête de Yaëlle, elle s’était fendue en deux lors du contact violent avec la pierre. Louis était au sol, à genoux. Tentant de lui parler. Tentant de la ramener. Les mains dans le sable. Du sable rouge. Rouge du sang de sa femme.
-Elle ne vous en veux pas.
La voix provenait de derrière lui. Une voix féminine.
Louis se retourna lentement. Il était désormais à une dizaine de mètres du lit d’une rivière, la nuit. Face à lui, une jeune femme, au long cheveux noirs corbeau.
-C’est vous que j’ai failli renverser tout à l’heure en voiture. Je vous demande pardon, j’étais ailleurs…
-Vous l’êtes toujours.
Louis plissa les yeux.
-Qui êtes-vous ? Demanda-t-il finalement.
Elle sourit.
-Je m’appelle Angèle. Je suis la pour vous aider.
-M’aider à quoi? C’est quoi cet endroit ?
Angèle éclata de rire. Entre deux éclats elle glissa:
-Vous êtes exactement comme votre fils. Vous refusez la vérité. Il a été dur à convaincre, pour quelqu’un de son âge.
-A convaincre de quoi?
-Que vous êtes à Somnore. Votre dernière étape.
Angèle arrêta de rire et se recula en partant un peu vers la droite. Derrière elle se dressait un pont d’une cinquantaine de mètres de haut. Elle pointa le doigt vers le haut, et Louis suivi la ligne imaginaire tracée par l’index. Il vit quelqu’un, assis sur le parapet, tout en haut. La personne sauta au moment où Louis le reconnu.
-Jonathan, non !
Il ne put que suivre des yeux la chute de son fils qui plongeait dans la rivière.
Aussitôt il couru alors que Angèle lui lançait :
-Il n’est pas trop tard pour le rejoindre !
Louis plongea à son tour, d’à peine quelques dizaines de centimètres. Mais il se rendit vite compte que ce n’était pas de l’eau. C’était des corps humains. Des corps vivants. Ils se laissaient aller au gré du courant, sans se débattre, l’air apaisé.
-Jonathan ! Jonathan!
Il retrouva rapidement son fils.
-Papa, dit il l’air serein. C’est la fin du voyage.
-Mais qu’est-ce que tu racontes ?
Jonathan sourit.
-On va retrouver maman.
-Non Jonathan! Maman est morte ! Elle est morte à cause de moi ! Je n’aurais jamais dû la laisser monter sur cette moto !
Jonathan lui sourit tendrement.
-Et nous papa. Tu penses que l’on est vivant? Ouvre les yeux et accepte la vérité.
Louis le regarda d’un air interloqué. Puis ferma les yeux.
Un arbre. Couché sur la route. Au détour d’un virage. Un violent écart pour l’éviter.
-Non, Louis. Ce n’est pas la vérité.
C’était Angèle, sur la rive.
-C’est la version que vous avez inventé pour vous cacher l’accident.
Un arbre. Couché sur la route. Louis essaie de l’éviter. Mais il est trop tard, et la voiture roule trop vite. Le véhicule s’encastre dedans dans un grand fracas de tôle, de bois et de feuilles.
La route est peu fréquentée. Les secours sont longs à arriver. Et quand ils arrivent, il est trop tard. Bien trop tard.
Louis rouvrit les yeux. Il venait de tout comprendre.
Devant eux, la rivière de corps les menaient vers une grande lueur blanche.
Louis saisit son fils par les épaules et à deux ils se laissèrent aller dans le flot de la rivière. Une rivière d’âmes.
-Tu as raison, dit finalement Louis. On va retrouver maman. -
Je n’ai fait que passer
Putain, qu’est-ce que je fous là ? Question qui en induit une autre, toute aussi troublante. Putain qui suis-je ?
Du calme. Une chose à la fois. Je suis dans le noir. Pourquoi ? Mes yeux sont fermés. Je n’arrive pas à les ouvrir. Je ne sens pas mon corps. Je ne peux pas bouger. Oh putain j’ai eu un accident. C’est forcément ça. Je suis dans le coma et mon corps ne réponds plus. Un accident de voiture probablement. Non pas possible je n’ai pas de voiture. Ah je me souviens de ça ! Je n’ai pas de voiture ! C’est déjà ça. Mais alors quel genre d’accident ? Renversé par une voiture peut-être. J’étais à vélo ? Non je déteste le vélo. Je devais être à pied. Mais j’allais où? Je venais d’où? Merde mais qui je suis ?
Je suis le Docteur.
Le docteur ? Je suis docteur ? Pourquoi cette phrase résonne différemment dans ma tête ? Est-ce que j’ai encore une tête ?
Le Docteur qui ?
Ça sonne bizarre. Comme si c’était un dialogue dans ma tête. Je ne pense pas être médecin. Docteur en électronique peut-être ? Docteur en physique quantique ? J’ai eu un accident d’accélérateur de particules en tentant une expérience de voyage dans le temps et mon corps n’a plus d’existence physique. Non n’importe quoi.
Juste le docteur.
Mais qu’est-ce que ça veut dire? Je comprends rien. Si il y a bien une chose dont je suis sûr, c’est de ne pas être docteur. Enfin, je pense. Mais qui je suis, concentre-toi, Dany !
Dany ? Oui, c’est ça, Dany! C’est mon prénom ! Enfin, un surnom. Quel est mon vrai nom ? Daniel ? Donovan ? Ou vraiment Dany ? Tout m’échappe ça m’énerve.
Bon la mémoire revient très lentement, concentre-toi sur ton corps. Je ne sens rien. J’ai l’impression de voler dans le vide. De flotter. Je suis dans l’espace ? Astronaute ? Non je verrais des étoiles. Je ne sens juste plus mon corps.
Tu n’es pas un Dalek.
Quoi ? C’est quoi un Dalek ? Bien sûr que non je ne suis pas un Dalek. Ce sont des monstres. Des monstres ? Attends. Ça y est je me souviens ! Le Docteur qui, le Docteur Who ! Ce n’est pas moi, c’est la série à la télé ! Je me souviens d’un truc de plus ! Concentre-toi Dany ! focalise-toi la-dessus ça t’aideras à retrouver la suite ! Que te rappelles-tu du Docteur ?
Règle numéro une : le Docteur ment.
Bravo. C’est réconfortant. Ça promet pour la suite. Comment être sûr que ce que je me rappelle est la vérité et pas une invention de mon cerveau mourant ?
Mourant ? Qui te dit que tu es mourant ?
Bon c’est officiel je suis cinglé. Je me parle à moi-même. D’un autre côté, je ne sens plus mon corps, je suis seul dans le noir et amnésique. Mais je me rappelle de mots comme “amnésique”, tout ne doit pas être perdu…
Après, si je ne suis pas mourant, pourquoi diable ne puis-je pas ouvrir mes yeux ou bouger le moindre muscle ? Les muscles. Mais oui ! Tu n’as même pas pensé à la base idiot ! Concentre toi sur ta respiration ! Est-ce que tu respires ?
…
Oui, tu respires ! Tu as un corps ! C’est magnifique ! J’ai un corps ! Et je ne suis donc pas un corps flottant dans l’espace non plus ! Pourquoi quand je me parle je dis “tu” ? Je me parle comme si je parlais à quelqu’un d’autre… Mais je m’en fout je respire ! C’est la première bonne nouvelle de la journée ! Ou de la nuit ? J’en sais rien. Il fait noir mais est-ce que c’est vraiment parce-que mes yeux sont fermés ? Peut-être sont-ils ouverts mais que je suis dans le noir complet ? Non, l’absence de clignement me ferait ressentir une brûlure atroce.
Mais non, idiot… Tu ne sent rien de ton corps, il est donc probable que tu ne sente pas ça non plus !
Bon reprenons calmement. Je m’appelle Dany ou quelque chose d’approchant. Je suis fan de Doctor Who et je respire. Je ne sens pas mon corps mais il existe.
Attends une minute. Une idée horrible me vient à l’esprit. Est-ce vraiment ma respiration que j’entends ? Je ne suis peut être finalement qu’une âme perdue qui erre et qui entend la respiration de son corps désincarné. Ce qu’il expliquait que j’ai dit, ou plutôt pensé qu’une idée m’était venue à l’esprit, et non pas en tête. Puisque dans ce cas, je n’ai plus de tête au sens physique du terme.
Aïe.
Oui, aïe. Aïe aïe, même. Cette douleur qui naît au creux de mes poumons. J’ai mal. C’est très douloureux. Même si c’est bon signe quand à l’existence physique de ma tête et du corps qui est censé y être raccordé.
La douleur augmente de plus en plus. Ça devient intolérable. Je sens quelques chose remonter.
Je tousse. Une toux grasse. Je sens les glaires remonter dans ma gorge. Je m’entends tousser. Ça se calme. La douleur disparaît progressivement. Mais une autre apparaît. Dans ma tête. Une douleur lancinante, de plus en plus forte. Un peu comme cette migraine du siècle que j’ai eu quand j’avais seize ans. Attends. Oui, je me souviens ! Ma première vraie migraine ! J’étais immobilisé dans mon lit, les tentures fermées, j’essayais d’être au maximum dans le noir ! J’avais tellement mal que j’étais incapable de me lever pour prendre un cachet de paracétamol. Je croyais que j’allais mourir tellement cette douleur était forte.
Aujourd’hui je n’en suis pas encore là , mais ce mal de tête est rassurant : j’ai encore une tête.
Je commence à sentir quelque chose, contre mon épaule droite. Quelque chose de dur. Les machins qu’on a dans la tête se réveillent. Ceux qui nous disent si on est allongés ou debout. Ils sont dans l’oreille interne je pense. Merde j’aurais dû mieux écouter mes cours de sciences nat’ au collège. Ça me prouve bien que je suis pas docteur. Bref ces trucs dans l’oreille me disent que je suis allongé. Ok. Je suis allongé sur un truc dur. Probablement au sol. Aucun matelas ne peut être aussi dur. Et aussi froid. Il fait froid d’un coup. Enfin il faisait sûrement déjà froid avant, mais maintenant je le sens.
En parlant de sentir, mon nez se réveille lentement également. J’ai l’impression que ça sent le bois. Je dois être allongé sur du parquet. Un parquet sacrément froid.
On n’est pas en hiver.
Non je sais. Pourquoi je me parle avec une deuxième voix ? Qui est-tu deuxième voix ? Tu as l’air d’en connaître un rayon !
On n’est pas en hiver.
Oui j’ai compris. Mais alors… Mais oui : pourquoi ai-je aussi froid ? Sûrement parce que tu est allongé par terre sur du parquet et que tu n’as pas as bougé depuis un certain temps. Non. Il fait vraiment froid. Ça caille. Et c’est pas juste moi. C’est autour de moi que ça pèle. J’ai froid à la main gauche. Oh ! Ma main gauche je te sens ! Enchanté ! Heureux de voir, ou plutôt sentir que tu fais encore partie de moi !
Elle touche le sol. Il est bien froid je confirme. Pas gelé, mais froid. Comme du carrelage dans une maison qui a été aérée toute la matinée en plein hiver.
Mon épaule droite est bien réveillée maintenant et elle n’a pas aussi froid que ma main. J’en déduis donc que je suis habillé. Voilà qui est rassurant. Ce n’est pas aujourd’hui que je montrerai mes fesses aux infirmières. Par contre si j’ai été renversé par une voiture qu’est-ce que je fout sur du parquet ?
Une chose à la fois. Ce mal de tête persiste. Autant les poumons m’ont lâchés la grappe, autant la tête me fait de plus en plus mal. Et pas qu’à l’intérieur. Je pense avoir trouvé l’origine de mon amnésie : une forte douleur sur l’arrière du crâne. J’ai mal aux cheveux. J’ai dû me cogner en roulant après avoir été percuté.
Attends encore un peu : si une voiture m’a percuté, je devrais avoir mal ailleurs… Je n’ai plus mal à la poitrine et je n’ai pas mal ailleurs. D’un autre côté, je ne sens toujours rien en dessous du nombril ni mon bras droit à part l’épaule.
Merde. Je suis handicapé. Je ne sens pas mes jambes. Je vais finir ma vie dans un fauteuil roulant comme un légume vivant au crochet de la société.
J’avais entendu parler d’un homme qui était devenu handicapé suite à un accident de la route. Son seul moyen de communiquer était de cligner des yeux. Mais moi je n’ai même pas le contrôle de mes paupières. Je suis sérieusement dans la merde.
Quoique… Oui, je commence à sentir mon pied droit ! Bonjour toi ! Je suis aussi content de te retrouver que ma main gauche ! J’arrive même à bouger mes orteils dans ma chaussure ! Hey, je sens ma chaussure ! Magnifique ! Les sensations remontent, je sens ma cheville. Je sens que j’ai une boots. Je peux partir du principe que l’autre pied est logé à la même enseigne… Il n’y a pas de raisons. Les sensations continuent de remonter le long de ma jambe droite. Je sens mon genou. Il est également posé au sol, déplié. Je dois être en position latérale de sécurité. Tiens, je me souviens de ça aussi. J’ai fait une formation au premiers secours dans le cadre de mon travail. Mais je travaille où ? Bon c’est pas grave, tout revient lentement. Concentre-toi sur ces sensations qui reviennent le long de ta jambe. Je sens maintenant ma cuisse. Et ma fesse. Tiens, j’ai froid à cet endroit. C’est pas normal ça. Pourquoi je serai habillé avec le cul à l’air ? Ça disparait. Je n’ai plus froid au cul. Sûrement un délire de mon cerveau qui se réveille. Si ce satané mal de tête pouvais disparaître aussi ce serai génial. Mon royaume pour du paracétamol. Ou un cachet d’aspirine, je ne suis pas raciste. Ça n’empire pas mais j’aimerais bien que ça se calme.
Je sens ma hanche complète désormais. Petit à petit tout reviens. Je vais tenter un truc… Oui j’y arrive ! Les doigts de ma main gauche bougent. Et mieux encore : ils font ce que je leurs demande ! Je sens bien le parquet sous mes doigts. Il est froid. Vraiment très froid. Je ne sais toujours pas où je suis mais ça caille vraiment…
Je plie les doigts et fait courir mes ongles sur le sol. Je sens les irrégularités du bois se dessiner sous mes ongles, comme les sillons d’un disque vinyle sous un diamant.
Mon pied gauche se réveille. Je sens qu’il est dans une boots aussi. Au moins je ne vais pas me balader sans mes godasses. J’aurais eu l’air con avec une seule chaussure. J’arrive même à bouger les orteils dans mes chaussures… Grand luxe ! Les progrès sont rapides, mais d’un autre côté je n’ai aucune notion du temps. Je suis réveillé depuis cinq minutes ou cinq heures ?
Une autre question commence à me turlupiner : depuis que je me suis rendu compte que j’entendais ma respiration, je n’ai rien entendu d’autre. Quand je gratte le parquet, j’entends le bruit de mes ongles sur le bois. Mais aucun bruit extérieur. Pas d’agitation, de cris. Pas de moteur, pas d’ambulance. Pas de pompier qui me dit “monsieur, vous m’entendez ? Serrez ma main si vous m’entendez”.
Il se passe quelque chose. Mes yeux. Une lueur blanche apparaît lentement. Non plutôt jaunâtre en fait. Je pense que mes yeux recommencent à fonctionner et que c’est la lumière qui passe au travers de mes paupières. J’essaie d’ouvrir les yeux. Ça marche ! Doucement. La lumière me fait mal. Mes paupières se referment et je plisse les sourcils. Je recommence tout doucement. La lumière jaunâtre se transforme en nuage jaune orangé. Je commence à distinguer le parquet. Il est marron foncé. Probablement du chêne. Je vois ma main, floue. Petit à petit mon champ de vision s’étend. Du parquet. Encore du parquet. Soit cette pièce est foutrement grande, soir je suis dans un champ de parquet.
Non. Quelque chose d’autre. Un mur. Je le distingue de plus en plus nettement. Il semble être recouvert de lambris. Je suis dans un chalet au Canada ou quoi ? Il n’y a que du bois ici ?
Je sens tout mon corps à présent. Je vais tenter de me lever. Je m’appuie sur ma main gauche pour soulever mon corps. Je décolle mon épaule de quelques centimètres. Je vais bouger ma main droite pour qu’elle vienne aider sa copine.
Aie. Je me suis effondré. Dans la bagarre je me suis cogné la tête sur le côté droit. Au moins maintenant je sais pourquoi j’ai mal. Bon avant de se mettre debout on va déjà tenter de s’asseoir, ça me paraît plus raisonnable. Je vais éviter les acrobaties. Je place les deux mains sous mes épaules, paume contre le sol. Et je pousse. Oh putain j’ai l’impression d’avoir fait deux cents pompes. J’y suis presque. Mon corps doit être à quarante cinq degrés. Je vais y arriver. Mes bras commencent à trembler, ce n’est pas bon signe… Mes forces m’abandonnent. Je sens une goutte de sueur permet sur mon front malgré le froid. Mes bras tremblent de plus en plus. Ils vont me lâcher.
Je suis encore tombé. Je me suis encore cogné la tête. J’ai mal. Mais je ne m’avoue pas vaincu. Je réessaie. Les mains plaquées solidement au sol, bien espacées autour du corps, le long des épaules. Je respire un grand coup. Encore un coup. Et encore un. OK j’ai les chocottes. J’avoue. Mais merde deux chutes sur la tête coup sur coup ça fait mal. Je prends une grande inspiration. Je ferme les yeux et j’y vais. Je pousse de toutes mes forces. L’effort m’arrache un gémissement de douleur. Mes bras sont tendus. Ils recommencent à trembler. Je parviens à faire pivoter mon bassin. Ça y est je suis assis. Ça a été laborieux mais j’y suis arrivé. Je reprends mon souffle. J’ai l’impression d’avoir couru un 100 mètres haies sans entraînement. J’ouvre les yeux. Ma vision se fait nette rapidement désormais. Je regarde autour de moi. C’est une vaste pièce rectangulaire d’environ quinze mètres de long sur sept de large. Étonnement le sol est en parquet. Les murs sont toutes recouverts de lambris de la même teinte que le sol, marron foncé tendant un peu vers l’orangé. Sur les petits côtés de la pièce, une porte se dresse à chaque extrémité. Sur le long côté à ma droite, il y a quatre fenêtres qui donnent sur un ciel brumeux. Je ne vois rien d’autre que la brume à l’extérieur. J’irais voir ça de plus près dès que j’arriverai à me lever.
Sur le quatrième côté, une peinture gigantesque aux tons assez sombres représente deux hommes nus, juste vêtus d’une sortie de bain enroulée autour de la taille. Ils sont assis l’un à côté de l’autre sur une sorte de banc en bois… Décidément encore du bois. Ils sont entourés de brume ou peut-être de la vapeur. Oui c’est ça, ils sont dans un sauna. Près du banc on distingue les pierres sur lesquelles on jette de l’eau pour faire la vapeur.
L’homme de gauche à posé sa main sur la cuisse nue de l’autre et semble bien décidé à remonter. Il affiche un regard lubrique alors que l’autre semble timide.
J’espère que cela n’est pas annonciateur de la suite des événements… Et pourtant ce tableau me dit quelque chose sans pouvoir me rappeler quoi. D’un autre côté, même mon nom de famille m’est inconnu… Alors me souvenir d’une peinture représentant des homos…
Le reste des murs de la pièce ou je me trouve, comme les portes, est décoré finement, avec des ornements, à la manière d’un ancien château. Le plafond est assez haut, près de cinq mètres je dirais, ce qui me fait d’autant plus penser à une demeure de châtelain.
Mais bordel qu’est-ce que je fous dans un château ?
Maintenant que je suis assez bien réveillé, et assis, il faut que je me concentre sur mon arrivée ici. J’étais où avant ?
Je suis le Docteur.
Ça y est ça recommence.
J’ai menti.
Quoi ?
Règle numéro une : le Docteur ment.
Oui je sais ça. Je suis fan de la série donc je sais ça.
Le Docteur… Mais oui, c’est la dernière chose dont je me souviens ! J’étais dans mon canapé en train de regarder l’intégrale de la nouvelle série et Peter Capaldi venait de remplacer Matt Smith… J’étais en train de me demander si je préférais Matt Smith ou David Tennant. J’aimais bien David, mais Matt avait su imposer sa patte. Je n’étais pas encore convaincu par Peter. Mais il fallait lui laisser le temps car, après tout, j’avais eu du mal à accepter David Tennant à la suite de Christopher Eccleston. Et puis plus rien. Plus aucun souvenir. Bizarre. Je n’ai pas été renversé par une voiture dans mon salon?
Minute : j’ai l’air d’être en un seul morceau, si ce n’est ce vilain mal de tête. Donc il faudrait peut-être revoir la théorie de l’accident de la route…
En tous cas, une chose est sûre : il me manque un bout de mémoire. Celui qui expliquerait comment je suis passé de “Dans le ventre du Dalek” à un château bourgeois…
Toujours ce mal de tête lancinant… Ça commence à me taper sur le système… Bon allez, je tente de me lever.
Je pousse sur mes mains, plie le genou gauche pour faire glisser mon pied sous ma fesse, et déplie le tout très lentement… Voilà je suis debout ! Mais j’ai la tête qui tourne… Et pas qu’un peu… Allez courage ça va passer. Dans le pire des cas je reposerai mon cul au sol.
Première destination : les fenêtres. Je me dirige vers la plus proche, la deuxième en partant de la droite. Étonnement, il n’y a rien à voir dehors. La brume grisâtre est tellement épaisse que je distingue à peine les rebords des fenêtres. Pourtant ce n’est vraiment pas un problème de fenêtre, elles sont lavées impeccablement… Je pose la main sur le carreau pour essayer de gratter. Non, c’est sur, il n’y a pas d’autocollants pour me faire une blague… Je constate par contre que j’ai laissé une petite empreinte de doigt… J’espère que la femme de ménage ne m’en tiendra pas rigueur !
Bon, un brouillard à couper au couteau me prive de la seule chance que j’avais de savoir rapidement où je suis… Tant pis, je vais explorer.
Je laisse donc les fenêtres sur ma droite, et me dirige vers la porte située près des fenêtres. La poignée est tout ce qu’il y a de plus classique. Je l’abaisse doucement et tire la porte.
Derrière, un couloir d’environ huit mètres de long me fait face. Les murs sont du même bois que ceux de la pièce précédente. Aucune fenêtre, mais la lumière vient de six appliques murales, trois de chaque côté, disposées régulièrement.
J’avance dans le couloir, et la porte se referme derrière moi. J’approche de la seconde porte, actionne la poignée et la pousse. Je me retrouve face à une pièce tout en bois – étonnement – d’environ quinze mètres de long sur sept de large. Sur le mur de droite, quatre fenêtres donnent sur la brume extérieure. En face de moi, une porte à chaque extrémité du mur, et sur le mur de gauche une immense toile sombre.
Attend. La toile. C’est la même que dans la pièce précédente. Les hommes dans le sauna. J’entre dans la pièce et la porte se referme derrière moi. Je tourne sur moi-même. Toute la pièce est identique. C’est exactement la même pièce.
-C’est une blague cet endroit ?
J’ai dit ça à voix haute? Il faut croire. Je me parle tout seul dans ma tête et en vrai alors. Génial. Je deviens vraiment maboul.
Je décide de continuer d’avancer. Je prends encore la porte près des fenêtres, toujours dans le même sens. La porte donne sur un couloir, comme toute à l’heure. Je le linge, j’ouvre la porte au bout.
Encore la même pièce. Au détail près.
Le bois, les fenêtres, la brume, le tableau louche, les portes. Je recommence. La porte près des fenêtres. Le couloir. La porte au bout. La même pièce. Encore.
-Ok, très drôle comme blague !
Enfin si c’est une blague. Parce que je commence à flipper. Je me dirige vers la deuxième fenêtre, pour voir si le brouillard se lève. Mais rien. Toujours cette brume grisâtre et les carreaux d’une propreté parfaite. Sauf… Attend. C’est quoi ça ? Un défaut dans le carreau ? Une trace? Oui, une trace. Oh putain. C’est ma trace. Celle que j’ai laissé tout à l’heure sur le carreau. Mais c’est impossible ! C’était trois pièces plus loin !
J’ai peut-être tourné en rond? Non, impossible, toutes les pièces sont parfaitement rectilignes. D’une manière trop parfaite même.
Je continue d’avancer. La porte près des fenêtres, le couloir, la porte du bout.
La même pièce. Identique. Toujours le même tableau malsain. Je me dirige vers la deuxième fenêtre. La trace est la. Strictement identique. Strictement au même endroit.
Je commence sérieusement à flipper.
Je vais revenir en arrière. Ça me fait flipper ce truc.
Je reprends la porte qui m’a amené là. Le couloir, la porte.
Oh mon Dieu.
Ce n’est pas du tout la même pièce. Comment est-ce possible ? Celle-ci est carrée à vue d’œil. Environ quinze mètres de côté. Les murs sont lisses, peints en beige clair. Une colonne centrale, carrée, semble tenir le plafond, d’une hauteur d’environ six mètres. Une table ronde d’environ trois mètres de diamètre, recouverte d’une nappe blanche, prends la colonne pour centre. Sur la nappe d’un blanc immaculé sont posés des dizaines de plats. C’est un véritable banquet. Il y a plein d’assiettes. Toutes pleines. Il y en a pour tous les goûts. Je m’en approche et fait le tour. Des pâtes bolognaise, des pâtes carbonara, du couscous, des tajines, des sandwichs, des chips, des cacahuètes, pleins de viandes, des légumes…
Tout semble à la bonne température, et il faut avouer que ça sent vachement bon.
C’est drôle, j’ai souvenir d’être difficile en ce qui concerne la nourriture, et pourtant tout ce que je voit me fait envie… Comme si celui qui avait fait cette table savait exactement tout ce que j’aime. Encore un truc bizarre.
Dans le coin de la pièce opposé à l’entrée se trouve une autre table, avec un grand verre et des dizaines de bouteilles de soda. Mes boissons préférées.
Je tourne sur moi-même pour analyser le reste de la pièce. Il n’y a qu’une seule porte : celle par laquelle je suis entré. Mais ça ne m’explique pas pourquoi ce n’est pas la pièce que j’ai quitté tout à l’heure.
Je prends quelques chips dans le creux de la main et quitte la pièce. Je longe le couloir et ouvre la porte. Je suis de retour dans la pièce d’origine, celle avec le tableau moche.
Je ne comprends pas comment les pièces peuvent être un coup identique, et un coup complément différentes… alors je vais tenter une expérience. Je dépose une chips aussi sol, à peu près au milieu de la pièce. Puis je quitte la pièce par la porte près des fenêtres, en laissant les fenêtres sur ma droite. J’ouvre la porte, longe le couloir et ouvre la porte. C’est la même pièce. Avec la chips aussi milieu.
Putain je ne comprend plus rien. Je reviens sur mes pas. Je longe le couloir, ouvre la porte et retombe sur la salle avec la bouffe.
Je crois commencer à comprendre la logique du truc même si c’est bizarre : les portes donnent tous sur un lieu précis. La porte le long des fenêtres lorsque les fenêtres sont sur la gauche donne sur cette salle des banquets. Alors que celle juste en face reboucle sur la même salle au tableau Zarbi. Comment c’est possible je ne sais pas, mais c’est ce qui arrive. La même pièce, à la chips près. Mais sur quoi donnent les deux autres porte ?
Ma curiosité est forte, mais il y a cette bonne odeur de bouffe et je commence à faim. Et ça fera peut-être passer ce mal de tête…
Il y a beaucoup de choix, mais mon dévolu va se porter sur le couscous royal. J’adore le couscous. Il n’y a pas grand chose dont je me souvienne, mais ça, oui !
Je prends l’assiette, des couverts sont posés dedans, je me cale sur un coin de la table et je commence à m’empiffrer. C’est vraiment, mais alors vraiment trop bon. Épicé juste ce qu’il faut, la merguez est excellente, la semoule fine est recouverte de sauce, le poulet fond dans la bouche et l’agneau est succulent. Par contre ça donne soif. Allez, soyons fous ! Je change de table et le set un grand verre de soda que j’avale en une fraction de seconde, puis je retourne à mon couscous. Il est vite avalé également. Je me ressert un verre, l’avale cul sec, puis je retourne vers la porte.
Je suis bien décidé à voir ce qui se cache derrière les deux autres portes. Je traverse le couloir. La porte s’ouvre sur la salle au tableau bizarre, avec une chips aussi milieu. Je décide de prendre la porte la plus proche de moi, côté tableau. Derrière il y a toujours le même couloir. Les mêmes dimensions, les mêmes matériaux. Une porte aux bout. Je l’ouvre. Elle donne sur une salle aux dimensions identique à la salle de banquet. Sauf qu’au lieu d’avoir à manger, il y a trois sortes de statues, semblants représenter des scènes.
Je m’approche de la première. On dirait de la pierre. Elle semble à l’échelle.
Elle représente une femme poussant un landau. Elle semble infiniment triste. Le landau est vide.
Je vais voir la deuxième statue. Il s’agit d’un couple qui se tient par la main. Mais la femme n’a pas de visage.
Elles sont vraiment bizarre ces statues mais en même temps les situations qu’elles évoquent semblent me parler sans que je comprenne vraiment.
Je m’approche de la dernière statue. Celle-ci représente un très jeune garçon allongé, nu, dans un lit. Il se cache les parties génitales avec les mains. Il semble très timide et gêné. Au pied du lit, une jeune fille, à peine plus vieille, le regarde d’un air gourmand. Il semblerait que le garçon ne partage pas cette envie, bien au contraire.
Pourquoi ces statues, et particulièrement la dernière, me rendent-elles triste ? Comme si elles touchaient une partie enfouie de mon âme ? Une sensation étrange m’envahit soudain. J’ai l’impression d’être allongé. Pourtant je suis toujours debout. Ça disparait. Encore un coup de mon oreille interne, probablement.
Je sors de la pièce par l’unique porte et reviens dans la salle à la chips. Je passe devant le tableau moche et le contemple à nouveau. Autant cette situation me dégoute car l’homme au regard lubrique ne semble pas se soucier des désirs de l’autre, autant j’ai cette drôle de sensation d’avoir déjà été dans les deux cas. Et ça me trouble au plus haut point.
Je continue donc ma route et me dirige vers la dernière porte. Je l’ouvre et trouve l’habituel couloir. Je le remonte et ouvre la porte au bout.
La pièce devant moi est une chambre d’hôpital. Plus vaste. J’entre et la porte se referme derrière moi.
Les murs de la pièce sont blancs, avec cette ignoble fibre de verre en chevrons. Il n’y a aucune fenêtre. Sur le mur de droite trône un lit d’hôpital vide. Un sentiment étrange m’envahit. Je crois comprendre. Je me retourne. La porte à disparue. Je suis coincé. Il n’y a qu’une issue: affronter le destin que je m’efforce d’éviter depuis que je suis arrivé.
Je m’approche du lit et m’y assois. Puis je m’allonge. Je ressens cette sensation d’avoir le cul à l’air. Et c’est normal car je suis en chemise d’hôpital. Un appareil à côté de moi sonne. C’est mon électrocardiogramme qui est plat. J’entends les voix des docteurs autour de moi qui discutent en s’éloignant.
-Ça ne sert à rien d’insister, il a fait une rupture d’anévrisme.
-C’est sa femme qui nous a prévenue, il est tombé d’un coup alors qu’il regardait la télé dans son canapé. Heure du décès : 22 heures 47.
-Ça fait quand même peur on est peu de choses.
Oh oui docteur on est peu de choses. Ma vie à été plus courte que je ne le pensais.
La lumière aveuglante au-dessus de moi s’éteint lentement alors que je sombre dans le noir.
Je n’ai fais que passer. -
La fille du métro
Je sors du lycée. Mes « collègues » n’étant pas vraiment des personnes assidues, je suis seul. Le soleil frappe mon visage pour la première fois depuis bien longtemps. Cette fois, l’hiver est vraiment parti, l’été s’installe. Pour longtemps, j’espère. Je me dirige vers la bouche du métro. Juste à côté de celle-ci, deux amoureux se retrouvent, s’enlacent puis s’embrassent tendrement. Je me dis qu’ils ont de la chance d’avoir peut-être trouvé l’âme soeur. Je continue mon trajet et pénètre dans la station de métro. Les escalators défilent sous mes pas, et finissent par m’emporter. A leur rythme, je descends dans les abysses de la planète, entouré de parois de métal et de céramique. J’arrive finalement dans la station et descends vers les quais. Je repense à ces deux personnes s’embrassant avec tendresse. Cela me fait rêver.
Je débouche sur le quai et la rame de métro arrive sans me faire attendre. Les portes s’ouvrent, avec un bruit pneumatique. J’entre. Les rames ont des reflets bleutés qui donnent une sensation d’irréalisme. J’avance vers la vitre située face à la porte, me retourne et m’y adosse. Je reste toujours debout dans le métro. Pas la peine de s’asseoir pour trois stations…
Les portes se referment.
La rame repart. Elle s’engouffre dans le tunnel, à peine éclairé de quelques faibles lampes disséminées sur sa longueur. Elle prends de la vitesse quelques secondes, puis ralentit. La station suivante est en vue. La rame y pénètre. Puis s’arrête. C’est une station très fréquentée, une bonne dizaine de personnes attendent sur le quai.
Les portes s’ouvrent.
Plusieurs personnes sortent, puis d’autres entrent. Et là, je suis littéralement frappé par une vision. Une vision de beauté, d’émerveillement. Jamais je n’ai ressenti un tel sentiment. Elle est là, devant moi. Elle me regarde. Un simple coup d’œil furtif qui met le feu à mon cœur. Elle détourne bien vite le regard et repère une place, s’y dirige et s’y assoit. Elle est seule dans ce coin, à deux mètres à peine de moi, et me faisant face. Elle ne me regarde plus, mais moi je la dévore des yeux. Elle a de longs cheveux châtains clairs qui lui cachent les oreilles, de petits yeux attendrissant dont je ne peut hélas pas voir la couleur. Elle a un petit nez, mignon, comme elle. Quelques taches de rousseurs au visage lui donnent l’air d’une collégienne. Mais les parfaites proportions de son corps rappellent aussitôt sa maturité physique.
Les portes se referment.
Je ne sais plus si la rame a démarrée ou est toujours à l’arrêt. Je la fixe. Mes yeux sont fixés sur les siens, malgré l’absence de réciprocité. Elle sort un baladeur cassette de sa poche, ainsi que deux écouteurs, les fourre dans ces oreilles et presse un bouton. Puis elle s’installe confortablement dans son siège. Elle a probablement une longue route à faire. Elle a baissée les yeux. Elle semble triste. La rame s’est de nouveau arrêtée et les portes s’ouvrent.
Je tente de détacher mon regard d’elle et de me concentrer sur autre chose. On m’a toujours appris qu’il était très impoli de fixer les gens. Mais c’est plus fort que moi. Je la trouve… parfaite.
Les portes se referment… sur mon état d’esprit.
La rame a redémarré. Je ne peux m’empêcher de jeter de furtifs regards à la fille la plus belle qui ne m’a jamais été donné de rencontrer. Puis mon regard finit par s’arrêter sur son visage. Je suis bloqué. Je ne peux plus détourner les yeux. Les siens fixent un point fictif près de son baladeur qu’elle tient toujours à la main. Puis soudain, elle lève les yeux et son regard croise le mien. Je détourne rapidement les yeux. Mon coeur se met à accélérer. Je fixe la porte devant moi. Je baisse les yeux. Mais je sens son regard épier les moindres de mes mouvements. Je tente de nouveau un regard, mais le sien est déjà présent. Je croise de nouveau le regard émis par ses magnifiques yeux. Les miens retournent bien vite fixer un point invisible face à moi. Je prends une grande inspiration. Je sens toujours le poids de son regard sur mon corps. Elle me fixe. Elle semblait triste. Pourquoi ne pas la consoler? Pourquoi ne pas profiter de ce siège vide face à elle pour s’asseoir et engager la conversation? Tout me pousserait à le faire. Mais je suis bloqué. Je ne contrôle plus mon corps. « Vas-y, mec » dit une voix dans ma tête. « Assis-toi face à elle, accoste la, demande lui l’heure, fait n’importe quoi, mais il faut que tu lui parle! Il faut que tu entendes le son de sa voix! » La proposition est tentante. Mais mon corps ne réponds toujours pas à mes ordres. Ma timidité à encore pris le dessus. Mes yeux aussi sont devenus ceux d’une personne triste. La rame s’arrête. Les portes s’ouvrent. C’est ma station.
Un regard triste fixe les yeux tout aussi tristes de cette jeune fille lorsque je quitte la rame. Elle me suit des yeux. Je sors lentement. Je voudrais tant pouvoir y retourner et engager la conversation. Mais je ne peux pas. Je n’y arrive pas. Les portes se referment derrière moi, et la rame repart. Je la vois s’éloigner de moi. Je sors de la station, lentement.
Le soleil frappe mon visage pour la première fois depuis bien longtemps. C’est l’impression que cela me fait. Comme si j’avais passé ma vie avec cette fille. Cette fille dont j’ignore le nom. Dont j’ignore même le son de la voix.
Je ne la reverrais probablement jamais. Et c’est sûrement un des plus gros regrets de ma vie.21/05/2001
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La Princesse et la Rose : Chapitre I
Il était une fois, dans un pays fort lointain, une princesse qui s’appelait Lisamélie. Elle était très jolie, la plus jolie du Royaume. Ses parents, le Roi et la Reine, étaient très fiers d’elle. C’était une jeune fille pleine de joie de vivre et très drôle. Elle passait la plupart de son temps libre à courir dans le château où à vouloir faire des farces aux domestiques.
Mais ce qu’elle adorait par dessus tout, c’était les fleurs. Dans les serres du château, elle allait souvent voir Maximilien, le jardinier Royal. Elle aimait son travail. Il était si doué… Il savait mettre ensemble les fleurs pour rendre le bouquet non seulement beau, mais aussi lui donner une odeur unique, mélange parfait des odeurs de toutes les fleurs du bouquet.
Et pour le jardin du château, le Roi et la Reine lui avaient donné carte blanche : c’était lui qui décidait ce qu’il fallait planter, et où.
Ce jour-là, Lisamélie était entrée silencieusement dans les serres afin de faire une farce à Maximilien. Ce dernier était en train de travailler à son bureau. Lisamélie s’approcha discrètement derrière lui, et au moment où elle allait le chatouiller, il se mit à parler, en continuant de s’occuper de ses plantes.
-Il ne sert à rien d’essayer de me surprendre, votre altesse. Je vous ai senti arriver.
-Comment ça, senti, répliqua la princesse, vexée que sa blague n’ait pas fonctionné. Insinuez-vous que je ne sente pas bon ? J’ai les meilleurs parfums du Royaume !
-Je n’ai pas dit une chose pareille, votre altesse. Et je ne me le permettrait jamais. Je dit juste que vous sentez différemment des fleurs de cette serre.
La princesse réfléchit.
-Vous pouvez savoir qu’une personne est entrée dans votre serre, juste à son odeur ?
-Oui, mademoiselle. C’est un don que j’ai. Je comprends ce que disent les fleurs avec leurs odeurs. De plus, votre parfum est assez rare. Une alliance assez unique de plusieurs senteurs de roses, d’épices rares, d’essences lointaines… Un parfum que seul un Roi peut offrir à sa princesse pour ses dix huit printemps.
La princesse sourit.
-Eaux d’orient, continua Maximilien. Je me trompe ?
-Bien sur que non, répondit Lisamélie en riant. Vous ne vous trompez jamais !
Elle retourna vers la porte des serres, puis se ravisa.
-Serez-vous présent demain pour mon anniversaire ?
-Altesse, un homme comme moi n’est pas présent pour les anniversaires royaux. Je ne ferais que décorer la salle.
-Je vous ferai parvenir une invitation dès cet après-midi. Je veux que vous soyez présent.
Maximilien lui souri.
-Ce sera un grand honneur, princesse.
-Très bien, et mettez-vous sur votre trente et un ! Mon père est très à cheval sur le protocole…
-Bien entendu, répondit le jardinier. Par contre, je ne suis pas sur que donner le parfum en cadeau la veille de l’anniversaire soit très protocolaire…
-Vous lui direz vous-même, lança la princesse en quittant les serres.
-Ou pas, répondit Maximilien, pour lui-même.