Textes
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La Princesse et la Rose : Chapitre IV
La Princesse et le jardinier étaient déjà sur leurs destriers, prêts à partir. De chaque côté des chevaux, de gros sacs de provisions pendaient lourdement.
-Je vous inquiétez pas, mère. Tout va bien se passer.
La reine se dirigea vers Maximilien.
-Voici donc venu le jour où vous réglez votre dette, Maximilien, chuchota la Reine.
L’homme hocha la tête d’un air grave.
-Protégez la Princesse, repris la Reine à voix haute. Au péril de votre vie s’il le faut.
-Oui Majesté, répondit-il.
-Mère, reprit Lisamélie. Je n’ai nullement besoin d’être protégée. Il est jardinier, pas chevalier. Je ne le vois pas attaquer les ennemis à coup de tulipes ! Sans vous offenser, Maximilien.
L’homme baissa les yeux.
-Si Maximilien vient avec moi, c’est pour ses qualités de botaniste. Nous devons partir maintenant, mère. Le temps nous est compté pour sauver père.
Soudainement, un bruit de sabot de cheval au galop se fit entendre. C’était Soren, le fils du roi Éric, qui chevauchait rapidement en leur direction. Il s’arrêta près d’eux, descendit de sa monture, puis se présenta à la reine en faisant une révérence.
-Majesté, dit-il. Permettez moi d’accompagner la princesse dans ce périple.
Lisamélie descendit de son cheval pour le retrouver.
-Hélas, mon ami, dit-elle. La prophétie parle d’un seul et unique compagnon pour accompagner. Et Maximilien est le seul à pouvoir me conduire jusque la rose des âmes.
Soren baissa les yeux.
-J’aurais tant voulu être cette personne qui vous protégera, princesse.
Lisamélie souri.
-Je le sais, Soren. Nous avons grandi ensemble comme des cousins et nous avons vécus mille aventures merveilleuses. Mais aujourd’hui c’est avec Maximilien que je dois partir. Mais dès que je serais de retour, nul doute que vous pourrez à nouveau veiller sur moi.
Elle déposa un baiser sur sa joue et il rougit. Elle remonta sur son cheval.
-Vous allez me manquer princesse, dit Soren.
Elle le fixa dans les yeux.
-Vous aussi, prince Soren.
Elle se retourna, secoua les rennes de son cheval, et celui-ci parti au galop, suivi de Maximilien.
Quand le tonnerre du bruit des chevaux fut dissipé, la reine s’approcha de Soren.
-Votre regard me rappelle celui de mon époux lorsque je l’ai rencontré. Pourquoi n’avouez-vous pas vos sentiments à Lisamélie ?
-Majesté, je ne me permettrais pas ! Jamais sans l’accord du Roi son père.
-Arrêtez vos protocoles… Je vois bien comment vous vous regardez tous les deux. Je sais ce que vous éprouvez sans l’avouer. Dîtes lui, dès qu’elle rentrera. Elle a besoin de l’entendre autant que vous de le dire.
-Bien Majesté, répondit Soren.
Il monta sur son cheval et retourna au pas chez lui, le cœur lourd.
-Vous savez où trouver ces falaises d’Or, Maximilien ?
-Oui, princesse, j’ai une petite idée. C’est assez loin, mais nous devrions y être avant le coucher du soleil.
-Vous êtes sûr de vous?
-J’ai une assez bonne idée des falaises d’or, puis du triple tumulte… pour le reste nous verrons bien.
-C’est déjà un bon début. Valik n’avais aucune idée de ce que cette énigme racontait.
-Valik est âgé et fatigué Altesse. De plus je pense qu’il s’en veut énormément de ne pas avoir pu empêcher l’empoisonnement de votre père. Il a été un fidèle compagnon de votre grand-père puis de votre père. Même s’il n’a pas approuvé certaines décisions il a toujours été d’excellente compagnie. C’est un homme bon. -
L’odyssée des étoiles : chapitre 0
Un Univers. Formé d’une quantité inimaginable de matière. Régi par des lois physiques, psychiques et quantiques dont la plupart sont encore inconnues de toutes les formes de vies que l’on peut y trouver. Un Univers en expansion.
Une Galaxie. Constituée de milliards d’étoiles illuminant des mondes si différents les uns des autres que beaucoup de formes pourraient penser êtres seuls à être dotées de la vie. Une Galaxie mobile et instable.
Un Système Planétaire. Neuf planètes, presque toutes ont un, voir plusieurs satellites naturels. Certaines gazeuses, d’autres arides. Certaines inondées. Un Système Planétaire jeune à l’échelle de l’Univers.
Une Planète. Bleue. Impression générale donnée par l’eau dont elle regorge. Une des plus belles planètes de la galaxie. Voire même la plus belle. Abritant des formes de vies très variées. Une planète menacée par ses habitants depuis des siècles.
Un individu. Perdu dans la foule. Ignorant ses capacités. Une personne va mettre toute sa confiance en lui. Un individu qui pourrait devenir un héros.
Une menace. Présente depuis des siècles, elle revient régulièrement dans un but de domination, de pouvoir et de conquête. Une menace qui refait surface.
Aujourd’hui.
La pièce dans laquelle le Président venait d’entrer était plutôt sinistre : murs de métal, aucune décoration. En son centre, une table rectangulaire, avec cinq sièges autour. Un sur le plus petit côté, près de la porte, et les quatre autres répartis sur les côtés larges, face à faces. De l’autre coté de la pièce, le mur était blanc. Un écran de projection. Le Président s’assit.
Les quatre autres personnes présentes dans la pièce s’étaient levées à son arrivée. Elles se rassirent toutes, à l’exception d’une, qui tenait une télécommande à la main. C’était un homme, dans la quarantaine, aux cheveux grisonnants.
Le Président remarqua aussitôt l’homme situé à sa droite. La soixantaine bien tassée, il était son bras droit depuis des dizaines d’années. Un homme de confiance, assurément. Quoique. En ces temps décadents, en qui pouvait-on faire confiance ?
La voix de l’homme à la télécommande résonna dans la pièce lorsqu’il prit la parole.
– Comme vous le savez, nous sommes ici pour parler du terrorisme qui s’abat de plus en plus sur notre planète. Je ne reviendrai pas sur l’organisation malfaisante qui arrange ces actes monstrueux. Mais il semblerait que nous soyons sur la piste de leur leader. S’en sera bientôt fini de la rébellion.
– Merci, Amiral Bound, dit le Président. Mais comment comptez-vous faire ?
– Nous avons captés des signaux étranges, répondit un autre homme. Provenant de notre vaisseau spatial militaire UWSS Discovery. Nous avons étés incapables de les décrypter.
Le Président le fixait. Son regard exprimait à merveille ce qu’il souhaitait.
La suite, s’il vous plait. Et vite…
Lorsque l’Amiral Bound reprit la parole, la moue du Président était tout aussi claire quant à ses pensées.
J’ai failli attendre…
– Nous pensons infiltrer une taupe dans le vaisseau, afin éventuellement de percer le mystère du cryptage, mais surtout de démasquer les traîtres à bord.
– Vous souhaitez infiltrer une taupe à bord d’un de nos propres vaisseaux ?
– Oui, répondit un homme à gauche. C’est le principe. Cela peut paraître étrange, mais c’est bien cela.
– Et comment souhaiteriez-vous faire cela, puisque nous ne sommes plus sûrs d’un seul de nos agents ?
L’homme situé à droite du Président tourna lentement la tête vers ce dernier, puis prit la parole pour la première fois depuis son arrivée.
– Nous allons infiltrer un nouveau. Nous suivons quelques futures recrues intéressantes depuis des années. Nous sommes sûrs d’eux à cent pour cent. Puisqu’ils ne connaissent même pas l’existence du Groupe…
Le Président prit un air circonspect puis enchaîna.
– Vous pensez à quelqu’un en particulier, Général Smith ?
Le Général sourit. Le Président ne connaissait que trop bien ce sourire. Le Général savait très bien sur quel terrain il se glissait. Mieux que ça : Thomas Lopès, mieux connu sous le nom de Président, se sentit soudainement intimement persuadé que le Général Andrew Smith avait une idée très précise derrière la tête.
– Oui, monsieur le Président. Je pense à quelqu’un. Je pense beaucoup… -
Les quatre tours : chapitre III : Europa 2’980’000. Rachael
L’inconnu se leva, et se rhabilla rapidement. Il posa sa main sur la box de paiement qui l’informa que, au vu des actes pratiqués, il serait prélevé de douze milles cinq cents crédits. Puis il sortit de la pièce en claquant la porte, sans un mot. Au-dessus de la porte, un léger voyant rouge indiquait que la chambre était occupée.
L’homme repartait pour la tour Asia et ne reviendrait sans doute jamais. Longeant les couloirs pour rejoindre le quai de départ, il pensa que les prostituées de l’étage d’embarquement étaient quand même bien pratiques et douées.
Dans la chambre toute de rose décorée, Rachael resta un instant sur son lit, nue. Elle commença à sentir du sperme sortir de son anus et se dit qu’il était temps de passer à la phase de lavage. Elle quitta ses draps de soie et se dirigea vers la salle de bains. Derrière elle, les draps furent aspirés par une minuscule fente dans le sol, et d’autres furent projetés du plafond. Des nanorobots intégrés se chargèrent de refaire le lit correctement, donnant l’impression que le lit se faisait tout seul.
La salle de bains était luxueuse, parfaite pour recevoir des clients exigeants et surtout très riches. Excessivement riches. Le client qui venait de sortir était resté très basique, pénétration vaginale et anale. Le nettoyage et la remise en service seraient rapide.
Rachael entra dans la douche et posa la main sur ses lèvres vaginales. Aussitôt un trait circulaire se dessina autour du périnée et le vagin se détacha. Elle le retira, cylindre de sept centimètres de diamètre et quinze centimètres de long. Elle fît pareil pour son rectum. Car Rachael était une androïde. Un être artificiel créé uniquement pour le plaisir des humains. Elle n’existait que pour exécuter des actes sexuels tarifés.
Elle déposa son vagin et son anus au sol, droits sous la douche. Les deux cylindres furent alors aspergés d’eau chargée de nanorobots qui nettoyèrent les deux accessoires. Puis elle prit elle-même sa douche.
Rachael souriait toujours quand elle pensait que cette eau chargée de nanorobots pleins de sperme ne serait recyclée qu’après avoir servi dans au moins deux cents douches des étages inférieurs à 2M. Elle l’avait vu lors d’une mise à jour ratée qui lui avait ouvert des accès auxquels elle n’avait logiquement pas droit. Une nouvelle mise à jour avait vite remplacé la précédente, bien entendu.
Quand les nanorobots eurent finis leurs œuvres, Rachael récupéra ses “accessoires” et les remit en place, en replaçant soigneusement le vagin pour ne pas mettre les lèvres de travers. Cela lui était arrivé une fois, et elle avait été convoquée par son centre de maintenance qui lui avait fait une remontée de bretelles dans les règles de l’art. Son corps devait être parfait, les clients payaient assez cher pour ça.
Elle retourna dans la chambre, et se rhabilla d’une manière très sexy. Dehors, le petit voyant passa du rouge au vert. Quelques minutes plus tard, la couleur des murs changea en une teinte sombre. Le prochain client arrivait. La déco était entièrement choisie par le client. Soit par des réglages préenregistrés, mais personnalisable à loisirs.
Un mur bascula pour faire apparaître des accessoires Sado-Maso: cravaches, pinces, godes. Mais aussi des scalpels. Rachael pensa qu’elle allait avoir besoin d’autres pièces détachées après ce client-ci.
Quelqu’un cogna à la porte.
– Entrez, lança Rachael d’une voix suave.
La porte s’ouvrit sur un couple, un homme et une femme, d’allure très distinguée.
– Bienvenue, dit Rachael.
– Bonjour, dit l’homme.
– J’ai cru comprendre que vous étiez très ouverte, lança la femme.
Rachael sourit d’un air coquin.
– Je ne dis jamais non. -
La Princesse et la Rose : Chapitre III
La fête avait été de courte durée, et les invités étaient répartis, inquiets pour le Roi.
Le monarque, allongé dans son lit, n’avais pas repris connaissance depuis qu’il était tombé, huit heures auparavant. À son chevet, son épouse et sa fille étaient mortes d’inquiétude. Valik finissait de l’examiner.
-C’est un empoisonnement, lâcha-t-il. Une forme rare et indétectable de poison. J’en avais déjà entendu parler, mais je n’y avais jamais été confronté.
-Qui a pu faire ça, demanda la Reine. Tout le monde l’aime !
-Je ne sais pas Majesté, répondit Valik. Mais j’avais mis un sort de protection. La personne qui a fait ça utilise une magie très puissante.
Un silence pesant s’installa.
-C’est moi qui était visée, dit soudainement Lisamélie. Père m’avait proposé la coupe. Je l’ai refusée, et il l’a bue à ma place.
-Valik, repris la reine. Votre magie peut-elle soigner mon mari ?
Valik prit un air grave.
-Hélas Majesté, je ne peux rien faire. La magie utilisée est plus forte que la mienne. Votre mari va lentement dépérir. Il succombera d’ici trois mois.
-Il doit bien y avoir une solution, supplia Lisamélie.
Il y en a une seule, répondit Valik. Une rose. Son parfum est le seul antidote.
-Ou peut-on trouver cette rose, questionna la reine.
-C’est une énigme présente dans les livres de magie. Une énigme basée sur la nature. Laissez-moi m’en souvenir.
Il réfléchit un instant.
-Oui, voilà, reprit-il. Au delà les falaises d’or, après le triple tumulte, par delà le feu volant, après les animaux fantastiques et les créatures mystiques, au sommet de la montagne aux cinq cimes, la rose des âmes pousse près de l’abîme. Seul un cœur pur de sang royal, accompagné d’un seul compagnon loyal, pourra cueillir la douce pétale.
-Que signifie ce charabia, demanda la Reine.
-C’est une énigme, mère. Et je m’en vais la résoudre.
-Tu ne peux pas y aller seule, ma fille. Valik, auriez vous l’amabilité d’accompagner ma fille dans cette odyssée ?
-Majesté, répondit Valik. Cela aurait été avec le plus grand honneur, mais la longueur du voyage et mon propre état de santé ne me permet plus de tels prouesses. J’en suis désolé.
-Ce n’est pas grave, mère, reprit Lisamélie. Je sais très bien qui peut m’accompagner dans ce voyage.
-Maximilien, cria la Princesse en entrant dans la serre. Maximilien, où êtes vous?
Maximilien apparut au coin d’une plantation.
-Princesse! Je suis tellement désolé de ce qui est arrivé à votre père !
-Merci Maximilien. Valik m’a parlé d’un antidote. Une rose des âmes.
-Majesté, la rose des âmes est une légende. Elle soignerait de nombreux maux, mais nul n’en a jamais vu.
-Valik m’a noté une énigme présente dans ses livres. Une énigme basée sur la nature. Selon lui, cela permettrait de trouver les fleurs.
Elle lui tendit un papier, qu’il lut attentivement. Il releva la tête.
-La première partie, dit-il. Les falaises d’or. Je pense savoir ce que c’est.
-Accompagnez-moi. Aidez-moi à trouver les fleurs qui sauveront mon père. Valik ne peut pas, il est trop âgé. Et vous connaissez tout des fleurs et de la nature.
Maximilien prit un air songeur puis hocha la tête.
-Très bien Princesse. Je vous accompagne.
-Merci Maximilien, répondit la Princesse, soulagée. Je fais préparer les chevaux.
-Soit bien prudente Lisamélie, dit la Reine en pleurs. Je ne veux pas perdre mon mari et ma fille la même semaine. -
Les quatre tours : Chapitre II : Europa 1’543’735. Javier.
-Encore une journée de merde à surveiller les bourgeois, se dit Javier Ayrs.
Son réveil venait à peine de sonner qu’il était déjà blasé. De plus, il se réveillait avec un mal de tête digne d’un lendemain de fête. Alors que, à moins que ses souvenirs ne l’aient trahis, il n’avait rien fait de spécial.
Il sorti du lit, entièrement nu, et se frotta l’arrière du crâne. Il avait désormais mal comme si il s’était fait assommer. Il se souvenait pourtant très bien de la veille au soir. Il était rentré directement après le travail, avait mangé sa ration du soir de savon avant de se coucher, éreinté.
Le savon était cette espèce de bouillie infâme qu’ils essayaient de faire passer pour de la nourriture. Ils n’avaient de toute façon pas le choix, il n’y avait que ça à manger.
Dehors, les machines travaillaient les champs pour extraire toutes sortes de choses qui étaient converties en savon, purée nutritive bourrée de vitamines et de pleins de trucs bien pour la santé.
Évidemment, là où Javier travaillait, c’était différent.
En tant qu’agent de sécurité, il faisait partie des classes moyennes, ce qui expliquait qu’il vivait au milieu de la tour. Mais il faisait partie des rares privilégiés à avoir le droit de prendre l’ascenseur, car son travail se situait au niveau 2’789’233. Il était agent de sécurité dans un bar où les cadres venaient se distraire après leur travail. Et parfois se mettaient sur la tronche. C’est là que son job commençait. Les séparer avec le plus de tact possible. Aux étages 2M, on n’en vient pas aux mains voyons !
Par contre on mangeait ! Car autant en-dessous de l’étage 2 millions on mangeait du savon, autant au-dessus c’était différent. Car les étages 2’500’000 à 2’501’000 étaient des champ. De verts pâturages, avec des animaux et des fermes. Entièrement destinés à produire de la nourriture pour les bourgeois du million d’étages supérieur. Pâtes, légumes, viandes… Tout comme avant l’époque des tours! Mais pour cela il fallait gagner de l’argent. Beaucoup d’argent. L’étage 2’501’001 recrutait à partir de 5 millions de crédits gagnés par mois. Ce que Javier ne gagnerait même pas en une vie.
Il avait parfois senti cette bonne odeur de viande, cela devait être du bœuf. Mais il ne pouvait pas y goûter.
Il se dirigea vers la salle de bains. Le miroir connecté qui occupait tout le mur du fond lui renvoyait une image de lui avec des propositions de vêtements pour la journée. Sans surprise, la suggestion était le costume de base de la compagnie de sécurité Europa.
-Miroir sans vêtements, dit-il.
Aussitôt il se vit nu dans le miroir, mais ses parties génitales restaient brouillées, charte de déontologie oblige.
Il se dit que cette charte ne servait à rien, puisqu’il était seul, désespérément célibataire à presque quarante ans. Cette fausse pudeur qui était imposée commençait à lui taper sur les nerfs.
Il entra dans la douche et posa sa main sur la paroi de verre. Celle-ci afficha : “Javier Ayrs, 3’578 crédits restants, cette douche vous coûtera 79 crédits. Continuer ?”
Il tapota la coche pour valider, et la paroi de douche afficha : “Une promotion est en cours pour 3 minutes d’eau à température agréable pour 15 crédits. Souhaitez-vous en bénéficier?”
Il fut tenté de valider, mais il devait faire des économies, aussi il tapota la croix rouge pour refuser l’offre. La paroi afficha alors “Europa vous souhaite une bonne douche”.
L’eau se mit à couler du plafond et Javier grimaça. Elle était encore plus froide que d’habitude. La paroi de douche quand à elle indiquait un décompte commençant à deux minutes et cinquante neuf secondes.
Il se tourna et se retourna plusieurs fois et prit de l’eau dans sa bouche jusqu’à ce que le compteur arrive à zéro. Il attendit quelques instants que les gouttes retombent, et recracha le contenu de sa bouche. L’eau était chargée de nanorobots qui nettoyaient tout au passage et s’évacuaient vers l’égout. Plus besoin de se frotter, de produits chimiques, de brosses à dents, de serviettes. Le “tout automatique“ poussé jusque dans l’intimité. Javier pouvait voir les gouttes ruisseler sur son corps et ce dernier redevenait sec aussi vite.
Même les toilettes n’étaient plus nécessaire: à chaque enfant, à la naissance, on injectait une dose de nanorobots. Ceux-ci s’installaient dans la vessie et l’intestin et construisaient une sorte de désintégrateur. Tout ce qui y passait était décomposé au niveau atomique et donc plus rien n’était à évacuer.
Il sortit de la cabine de douche déjà sec et retourna devant le miroir. Celui-ci lui proposa à nouveau le costume de la compagnie. En bas à gauche, une inscription indiquait “Costume standard sécurité Europa, 118 crédits par jour”.
-Miroir valider vêtements, dit-il.
Un tube sortit du miroir, passant à travers, tenant le costume sur un cintre. Javier le saisit. Le tube retourna d’où il venait et le miroir reprit sa forme initiale.
Javier s’habilla, enfonça le cintre vide dans le miroir qui l’absorba sans faire de manières, puis sortit de la salle de bains. Il traversa rapidement la pièce qui servait de chambre et entra dans la salle à manger. C’était une petite pièce entièrement blanche. Javier se dit qu’il devait la personnaliser depuis des années, mais n’en n’avait jamais eu ni le temps, ni les moyens.
Une petite table trônait au milieu de la pièce avec une unique chaise. En face, un grand écran affichait une vue extérieure. Des champs à perte de vue avec des machines roulantes, volantes, creusantes… Toutes qui s’affairaient, en direct, à cultiver et extraire des matières premières constituant le savon.
Javier se dirigea vers l’écran. Ce dernier ajouta du texte sur l’image.
Météo : le soleil artificiel s’allumera dans 12 minutes. La température actuelle à votre étage est de 21 degrés Celsius. Elle montera jusqu’à 33 degrés à 14 heures.
Finances : il vous reste 3’381 crédits.
Informations : le groupe Europa annonce la réhabilitation des étages 2’810’005 à 2’810’008 pour améliorer le cadre de vie dégradé des habitants suite à une fuite d’eau ayant entraînée une inondation de 4 millimètres. Les étages seront entièrement remis à neuf.
-Petit déjeuner, dit Javier.
L’affichage de l’écran changea pour indiquer que le petit déjeuner était un repas très important et qu’il lui coûterait 52 crédits. Javier accepta en tapotant l’écran sur la touche de validation. Aussitôt, une petite trappe s’ouvrit sous l’écran et un bol rempli de savon un peu sucré lui fût distribué, accompagné d’une petite cuillère.
Javier le saisit, et se dirigea vers la table. Il le déposa face à la chaise et s’assit. Il commença à manger la bouillie qui lui servait de petit déjeuner tout en regardant hypnotiquement les machines travailler la terre. Bien sûr, il pourrait regarder autre chose, il y avait plus de 30’000 chaînes de télévision, mais l’immense majorité était payantes. Et les chaînes gratuites ne diffusaient que des émission de télé shopping qui incitaient à la consommation.
Une alarme retentit et un voyant s’alluma en rouge sur sa cuillère. Sur l’écran, un texte l’informa qu’Il mangeait trop vite et n’avait pas posé sa cuillère entre deux bouchées. C’était mauvais pour la santé et empêchait le sentiment de satiété.
Il posa sa cuillère, qui reprit sa couleur originale. L’alarme s’arrêta et l’écran le remercia de sa coopération, avant de reprendre le cours normal de sa diffusion.
Quand il eut fini son repas, il se leva, remit son bol où il l’avait trouvé et la trappe se referma. Au final, il ne savait pas où partaient les affaires qu’il mettait dans cette trappe. Un bol le matin et une assiette le soir. Il ne s’était jamais posé la question. -
Canary Bay : Chapitre II
Quand il ouvrit les yeux il était allongé. Il n’était plus dans son bateau. Il était dans un lit. Assez confortable d’ailleurs, mais sans draps. Il entendait au loin le son des vagues sur le sable. Au-dessus de lui, un plafond de bois foncé limitait la pièce à trois mètres environ. Il se redressa et s’aperçut qu’il était entièrement nu. Mais ce qui l’étonna le plus était le bandage autour de sa cuisse blessée. Il se leva et fut étonné de ne plus ressentir aucune douleur.
Les murs autour de lui étaient également en bois, mais plus clair. A l’exception d’un mur, qui était une baie vitrée avec vue sur la plage.
Cinquante mètres en contrebas, deux cents mètres devant, il vit le bateau qui l’avait amené. La coquille de noix de Jimmy.
Posé sur le sable fin, solidement attaché à ce qui ressemblait à une bite d’amarrage dépassant de la plage, au milieu de nulle part, le bateau attendait patiemment un occupant afin de repartir.
Il admira un instant la vue. Il semblait être sur un flanc de colline. Face à lui, la mer s’étendait à perte de vue. Sur la droite, la plage disparaissait rapidement pour laisser place à la mer, comme si la falaise où il était marquait la fin de la plage.
Sur la gauche, l’étendue de sable fin s’étendait au loin sur plusieurs kilomètres. La falaise, étrangement lisse, s’arrêtait lentement à quelques centaines de mètres, laissant place à une forêt verdoyante.
Paul détourna son regard de la plage et visita la pièce où il était.
Au milieu, un vaste lit trônait. Couvert de draps blancs immaculés, il était également fait de bois. Sur la droite du lit, une table de chevet était disposée, sans rien dessus. Paul s’en approcha et ouvrit l’unique porte dont elle disposait. Elle était vide.
Un bruit mat et sourd se fit entendre derrière lui. Il se retourna prestement et vit une commode le long du mur à gauche du lit. Elle n’était pas la avant. Quelque chose était posé dessus. Comment un objet pouvait apparaître si vite ?
Il s’approcha avec précaution et saisi le tas de tissus disposés sur la commode. C’était des vêtements. Un peu semblable à ceux qu’on pouvait voir dans les hôpitaux, mais visiblement plus confortables.
Il les enfila rapidement afin de cacher son anatomie. Puis il fut saisi d’un doute inquiétant. La salle ne comportait aucune porte.
Il passa la demie heure suivante a examiner la pièce sous toutes ses coutures, sans rien remarquer de spécial. Ni ouverture, ni décoration, motif ou ornement. Un vent de panique le saisit mais il se raisonna rapidement.
Dépité, il s’assit sur le lit et attendit. Le temps passa et il commençait sérieusement à s’ennuyer. Il commençait à avoir faim. Il ignorait depuis combien de temps il était là, et combien de temps il avait été inconscient. Il estimait que plus de huit heures s’étaient écoulées depuis son réveil, et se leva.
“ Y’a quelqu’un ”, demanda-t-il dans le vide.
Il regarda en l’air, puis vers la plage.
“ Eh ho, y’a quelqu’un ? Je ne sais pas où je suis et je commence sérieusement à avoir faim ! ”
Dehors, il constata que la lumière commençait à décliner. C’était le soir. Cela faisait donc au moins vingt quatre heures qu’il avait vu le bateau de Zhen s’écraser. S’écraser contre quoi d’ailleurs ? Les souvenirs lui revenaient. Comment avait-il pu oublier cette vision stupéfiante ? Le bois explosant à mesure que le bateau s’agglutinait sur un mur invisible…
Soudain il vit quelqu’un. Dehors.
Sur la plage, une jeune femme en maillot de bain blanc courait sur le long des vagues. Elle venait du côté droit et partais vers la gauche, là où la plage disparaît dans l’horizon, vers la forêt.
Sa longue chevelure d’un blond parfait remuait de droite à gauche au rythme de sa course.
“ Hey, s’écria-t-il. Hey, madame ! Madame ! ”
Il se rendit soudainement compte que ce qu’il faisait était stupide. Elle était à plus de cent mètres, derrière une vitre à l’épaisseur inconnue, et le bruit du ressac masquait les maigres chances qu’il avait d’être entendu.
Il la regarda s’éloigner, non sans insister lourdement sur ses fesses qui s’agitaient en rythme sur les pas cadencés de la course. Il s’aperçut qu’il ne pouvait retenir une érection, chose qui l’étonna, car il lui fallait généralement beaucoup plus que cela. Il mit ça sur le compte de la journée étrange qu’il vivait.
Quand elle fut hors de vue, il commençait à faire sombre. Paul se retourna et vit un plateau sur la commode. Il s’en approcha et vit qu’il s’agissait d’un repas.
Une petite lumière sortait du plafond et illuminait juste le plateau. Celui-ci était constitué de divers fruits, pommes, poires, fraises. Un fromage à pâte molle et deux tranches de pain. Le tout accompagné d’un grand verre d’eau. Il dégusta tout avec plaisir, constant qu’il n’avait jamais rien mangé d’aussi bon de sa vie. Les fruits étaient loin d’être comme les fruits radioactifs qu’il connaissait. Ils étaient sucrés et juteux. Il termina avec le fromage qu’il posa sur le pain et qu’il dégusta. C’était la première fois qu’il mangeait du fromage. C’était devenu un produit rare, hors de prix.
Il termina son repas avec le verre d’eau. Même l’eau était bonne, comparée à celle qu’il avait bu toute sa vie. Après l’avoir reposé, il retourna s’asseoir sur le lit. La lumière au-dessus du plateau s’éteignit. Il supposa qu’il était l’heure de dormir. Il se sentit soudainement extrêmement fatigué. Il s’allongea et s’endormit rapidement.
Le bateau. Le bateau de Zhen. En bois. Le bois qui s’aplatit et qui explose sans raison apparente. Les cris. Jimmy. Sa tête. Les balles. Les hurlements. Des membres broyés. Des bras, des jambes. Des têtes. Coincés et broyés entre deux poutres de bois. Écrasés jusqu’à faire exploser les chairs. De l’eau. Partout. Pas moyen de s’en sortir. Le bateau coule. Ceux qui ont eu la chance d’être sur le pont et de ne pas être broyés sont aspirés par le bateau qui s’enfonce rapidement dans l’eau. Le reste de l’épave se pose sur un lit de sable au fond de l’océan. Du sable. Sec, à présent. Des pieds nus qui courent dessus. La fille en maillot de bain. La blonde, aux hanches oscillantes. Maintenant nue. Elle le chevauche, en amazone. Ses seins sautillent au rythme de son bassin. Il sent une vague de chaleur envahir son bas ventre. Il jouit. Les cris. Les hurlements. Les gens restés coincés dans le bateau. L’eau qui monte. Jusqu’à leur bouche. Jusqu’à leur nez. L’eau salée qui envahit leurs narines, leur gorge. Leurs poumons.
Paul se réveilla d’un bond, en sueur. Il était en nage. Il s’assit au bord du lit et se prit la tête dans les mains. Au loin, sur l’océan, le soleil commençait à poindre.
Il sentit une chaleur à l’extrémité de la verge, alors il écarta son pantalon pour regarder. Rien. Pas de trace de pollution nocturne. Il y avait pourtant cru, vu le plaisir ressenti durant son rêve. Il en eut honte un instant. Prendre du plaisir dans un rêve où des gens mourraient lui paraissait ignoble.
Il se leva et découvrit qu’une ouverture était apparue à gauche de la commode, ou plutôt s’était découpée dans le mur. Il s’en approcha et découvrit derrière une pièce toute blanche, avec une douche et un petit meuble où étaient posés des vêtements identiques à ceux qu’il portait déjà, mais propres. Juste à côté, deux serviettes éponges trônaient fièrement. Au sol, une sorte de paire de chaussures en tissu moches.
Le message paraissait clair. Et il ne dirait pas non, car avec la nuit qu’il avait passé, il se sentait particulièrement sale et poisseux.
Il se déshabilla, jetant nonchalamment ses habits au sol, entra dans la cabine de douche où il découvrit une bouteille de gel douche. Il tourna les robinets et une eau tempérée commença à ruisseler sur son corps. Il utilisa le gel douche puis se rinça.
Il sortit de la cabine, saisit une serviette et commença à s’éponger. Quand il commença à s’essuyer les pieds, il se rendit compte que ses vêtements sales avaient disparus.
“ Je ne sais pas qui vous êtes, mais vous êtes sacrément rapide ”, lança-t-il dans le vide.
Il fini de se sécher et enfila les vêtements propres. Il retourna alors dans la pièce principale, quand quelque chose attira son regard à travers la vitre, sur la plage. Il s’approcha. Il y avait des gens. Ou plutôt des femmes. De tout âges, mais principalement jeunes. La plupart en maillot de bain. Elles étaient alignées en huit lignes d’une vingtaine de personnes et faisaient toutes les mêmes gestes. Elles faisaient du sport. Une sorte de stretching.
“ C’est une blague ”, lança Paul pour lui même.
Un bruit de glissement rapide se fit alors entendre derrière lui. Il se retourna en sursaut et vit qu’une ouverture était apparue à droite de la commode. De la taille d’une porte, elle donnait sur un long couloir blanc lumineux.
Il inspecta tout d’abord l’ouverture sans pour autant comprendre le principe. Il avait l’impression que le pan de mur s’était évanoui purement et simplement. Il se mit à avancer lentement dans le couloir.
Les murs, le plafond et le sol étaient de la même couleur blanche étincelante, comme s’ils émettaient eux même de la lumière.
Paul passa la main droite sur le mur et constata qu’il était parfaitement lisse. Il continua d’avancer. Un bruit sec résonna soudain derrière lui. L’entrée par laquelle il était arrivé avait disparue. Le couloir dans lequel il était semblait désormais infini, devant et derrière lui.
Il rebroussa chemin, mais ne retrouva pas la porte.
Sa respiration se fit soudain plus rapide. Il hoqueta. Il était au bord de la crise d’angoisse. Il se mit à courir. Encore. Encore. Le couloir semblait sans fin. Il courut à en perdre haleine puis s’arrêta net. Il posa ses mains sur les genoux pour reprendre sa respiration. Quand son souffle fut revenu, il se redressa.
“ Au secours, hurla-t-il. A l’aide ! ”
Il cria encore et encore. Puis un bruit sec se fit entendre. Derrière lui. Il se retourna sèchement et se retrouva tête à tête avec une femme. Il s’arrêta net, comme figé. La femme était blonde. Jeune, grande, élancée. Il aurait juré que c’était la femme qu’il avait vu courir la veille sur la plage. Celle dont il avait rêvé la nuit dernière. A la différence près qu’elle n’était pas en maillot de bain mais dans une espèce de survêtement en tissu fin.
Il voulu parler, mais n’y arrivais pas. Il venait juste de se perdre dans le bleu de ses yeux.
“ Bonjour ”, fini-t-elle par lancer.
Pas de réponse de Paul.
Blonde. Yeux. Bleus. Perdu.
“ Ola ? Gutten tag ? Hello ? Priviet ?
-Pardon, répondit Paul, sortant subitement de son nuage.
-Je savais bien que tu parlais français ! Tu parles dans ton sommeil. Jimmy, c’est bien cela ? ”
Il se renferma, pensant soudainement à ce pauvre Jimmy.
“ Paul. Moi c’est Paul.
-Oh, désolée. Enchantée Paul. Moi c’est Sakine.
-Euh… Enchanté également. Je… je suis où ?
-Canary Bay.
-Euh d’accord. Mais c’est où exactement? Je suis revenu près de New Bangkok ? ”
Elle sourit.
“ Pas exactement, non. Même si au final on en est pas très éloigné, nous sommes quand même loin en mer.
-Loin en mer ? On est où ? Sur une île ?
-Oui, je te l’ai dit, Paul. A Canary Bay. Tu n’écoutes pas ?”
Elle le fixa. Le regard bovin de Paul indiquait bien qu’il était complètement largué.
“ Suis-moi, Paul de New Bangkok. Toutes tes réponses trouverons leurs questions. ”
Elle se retourna et marcha le long du couloir. Il la suivit et mis plusieurs secondes à se rendre compte que la dernière phrase de Sakine n’était pas dans le bon sens.
“ Excusez-moi, dit-il. Sakine ? C’est bien ça ? Euh, vous voulez dire que toutes les questions trouveront des réponses ?
-Non c’est l’inverse, répondit-elle. Tu as des réponses. Tu ignores juste les questions.”
Il décida sur cette phrase d’arrêter de réfléchir car il commençait déjà à avoir mal à la tête.
Ils marchèrent quelques secondes et le couloir changea soudainement. D’un couloir blanc et lisse, ils étaient désormais et sans aucune transition dans une vaste pièce aux murs de bois. Assez sobre. Au fond, une large baie vitrée donnait sur la plage, un peu comme sa “chambre”, mais en plus grand. Au milieu une vaste table ronde trônait, faite en un bois plus clair, qui tranchait avec le reste de la pièce. Une femme brune était de dos, devant la vitre, regardant dehors. Elle regardait les autres femmes, en bas, sur la plage, faire leurs exercices. Quand elle se retourna, Paul la regarda attentivement. Il voyait bien qu’elle était plus âgée que toutes les autres personnes vues jusqu’à présent. Bien plus âgée même, sans pour autant pouvoir lui donner un âge précis. L’impression lui était étrange.
“ Grande Prêtresse, dit Sakine. Je vous présente Paul de New Bangkok. ”
La prêtresse s’approcha et le dévisagea.
“ Bonjour Paul, lâcha-t-elle finalement.
-Bonjour madame, répondit-il timidement. ”
Elle continuait de l’examiner.
“ Il correspond vraiment, demanda la prêtresse à Sakine.
-Oui, Grande Prêtresse, répondit cette dernière. Bien plus que tout les autres prétendants. Bien plus que tous ceux que nous avons pu avoir. Depuis bien longtemps. ”
La Grande Prêtresse réfléchit avec une moue de la bouche.
“ Très bien. Traitez-le avec les égards qui lui sont dus alors. Et expliquez-lui.
-Oui, Grande Prêtresse ”, répondit Sakine.
Cette dernière se retourna vers Paul.
“ Suis-moi, Paul de New Bangkok. ”
Elle se mit en route vers un autre couloir qui venait d’apparaître dans le mur opposé d’où ils arrivaient, et Paul lui emboîta le pas.
“ Euh, au revoir, Grande Prêtresse ”, lâcha-t-il en partant.
La pièce disparut derrière lui comme elle était apparue, sans bruit ni fioritures. Derrière lui, il n’y avait plus que le long couloir blanc, semblant s’étendre à l’infini.
“ Excusez-moi, osa-t-il. Mais comment vous faites le truc avec le couloir ? J’avoue que je n’y comprends pas grand chose… Comment vous pouvez vous y retrouver ?
Sakine s’arrêta, se retourna pour le regarder et sourit.
-Vous voyez, les questions commencent à arriver. ”
Sur quoi elle repartit d’un pas rapide. Il resta planté quelques instants puis pressa le pas pour la rattraper.
“ Mais je n’ai pas la réponse !
-Des questions, des réponses, pourquoi êtes vous si binaire ?
-Euh, je ne sais pas… J’avoue que je ne comprends pas tout à ce que vous me racontez en fait… ”
Le couloir disparut de nouveau. Ils étaient sur la plage. Paul n’avait jamais eu la sensation de descendre. Pourtant, trente secondes plus tôt il était persuadé d’être cinquante mètres plus haut.
“ Ah oui, j’ai compris, lança-t-il. C’est pas des baies vitrées, c’est des écrans géants. Vous avez failli m’avoir avec votre tour de passe-passe. ”
Sakine ne s’arrêta même pas.
“ Regardez en haut. ”
Paul s’arrêta, se retourna et leva la tête. Ce n’était pas une falaise, mais une pyramide immense. Une cinquantaine de mètres au-dessus de sa tête, dans le flanc de la pyramide, apparaissaient plusieurs grandes vitres renvoyant l’image de la mer. Quelques dizaines de mètres encore au-dessus, une avancée de pierre était visible, entièrement cerclée de verre. Une sorte de vigie, se dit Paul. Son regard redescendit vers l’endroit où ils étaient ressortis de la falaise. Il ne fût même pas étonné de s’apercevoir que le passage qu’ils avaient emprunté n’était plus du tout visible. Il décida de braver Sakine, et d’arrêter de se poser des questions.
Cette dernière continuait d’avancer sur la plage, longeant la forêt, les pieds dans les vaguelettes qui finissaient de s’échouer sur le sable fin. Au bout de quelques dizaines de mètres, elle s’arrêta, et fit face à la forêt.
“ Que vois-tu, Paul de New Bangkok ”, dit Sakine.
Il regarda les arbres, et tenta de déceler quelque chose à travers, mais la forêt était bien trop touffue.
“ Une forêt ? Elle recouvre toute l’île?
-Règle numéro une sur Canary Bay: ne jamais se fier aux apparences. ”
Elle se baissa en pliant les genoux, ramassa une pierre, et la lança avec une force inouïe vers la forêt.
Au lieu de faire vibrer quelques feuilles, le caillou rebondit contre une sorte de mur invisible qui rappela à Paul la rencontre fracassante du bateau de Zhen avec le mur de ceinture de l’île.
Puis les arbres disparurent, cachés par des remparts qui apparurent devant, et qui semblaient encercler l’île.. Paul ne pouvait quitter des yeux cette apparition impressionnante.
“ Des remparts, demanda Paul.
-Ils font le tour de l’île, répondit Sakine.
-Le mur invisible ne suffit pas à vous protéger ? ”
Sakine tourna la tête pour le regarder.
“ Deux précautions valent mieux qu’une. L’île est trop précieuse pour être trouvée ou pillée. Même si nous avons l’entraînement et les moyens de nous défendre.
-Trop précieuse ? Qu’y a-t-il de si précieux sur cette île?
-Je vais vous montrer. ”
Sakine avança vers la muraille, qui, sans plus étonner Paul, ouvrit un passage dès qu’ils arrivèrent à proximité. Il y entrèrent, marchèrent dix mètres dans un long couloir blanc identique à celui qu’ils avaient quittés quelques minutes auparavant et ressortirent. Ils étaient sur une plateforme, en haut de la muraille. Sur sa gauche, Paul voyait la pyramide qu’ils avaient quittés, avec la mer infinie en fond. Sur sa droite, l’île se dévoilait dans toute sa splendeur. Ce n’était pas un vulgaire cailloux. Vu d’ici, Paul n’en voyait pas les limites. Et surtout, la forêt ne recouvrait pas toute l’île. Une statue lui sauta aux yeux.. A vue de nez elle devait faire dans les cinq cents mètres de haut, estima-t-il. Elle représentait une femme, nue, dans une sorte de posture de combat. Au pieds de la statue, une vaste ville, avec des grattes-ciel. Une ville magnifique.
“ Le trésor de cette île, lâcha Sakine avec de la tristesse dans la voix. C’est nous. ”
Ils descendirent vers la ville et arrivèrent au pied de la statue. Ils n’avaient encore croisé personne. Autour d’eux, des rues, avec des espèces de véhicules ressemblant vaguement à des voitures, des maison, des tours, des immeubles, tous fait d’une matière qui ne ressemblait ni au bois ni au béton. Une matière verte, comme si tout était fait par la nature. Seule la statue était de pierre.
“ C’est une bien grande ville pour peu de personnes, dit Paul.
-Elles sont cachés depuis ton arrivée. ”
Paul s’étonna.
“ Elles ? Il n’y a que des femmes sur cette île ?
-Oui. A part toi, bien entendu.
-Mais pourquoi se cachent-elles ? Elles ont peur de moi?
-Non pas de toi, mais de l’antihomme. Une vieille prophétie dit que quand l’homme pur viendra, l’antihomme le suivra. Et soit l’homme pur nous aidera à vaincre l’antihomme, soit ce sera la fin de notre civilisation. ”
Paul s’arrêta un instant.
“ Vous ne pensez tout de même pas que je suis votre homme pur, dit-il en souriant.
-Cela peut être difficile à croire, mais tu corresponds en tous points à la description de la prophétie.
-Et je peux connaître cette description ?
-Pas maintenant, ce serait long et compliqué. C’est une histoire de génome et de génétique en général.
-Et je peux savoir comment vous savez que je suis génétiquement votre homme pur ?
-Bien sûr. Nous avons fait un décodage de ton ADN. Tout simplement.
-Et comment vous avez eu mon ADN ? ”
Sakine lui sourit. Son cerveau se mit à bouillir.
“ Le rêve, reprit-il. Le rêve que j’ai fait cette nuit. C’était toi dans mon rêve… Tu m’as…
-Je n’ai rien fait du tout. On a juste récupéré ce qui est sorti…
-Mais tu n’as pas le droit ! C’est à moi !
-Comme si tu allais t’en servir. En plus on ne t’avais pas laissé de mouchoirs tu aurais été embêté avec, tu n’aurais pas su quoi en faire.
-Non mais sérieusement, vous allez en faire quoi d’autre ?
-Nous en avons besoin. Et nous en récolterons encore. Il en faut plus. Mais pas pour l’instant. Il faut battre l’antihomme.
-Mais c’est qui pour en finir cet antihomme, s’énerva Paul.
-On ne sait pas encore. Mais il ne devrait pas tarder à arriver. Et tu va nous aider à le battre. Sinon nous disparaîtront toutes.
-Mais je ne peux pas combattre seul quelqu’un si je ne sais même pas qui il est ! Et puis je n’ai jamais dit que je vous aiderai !
-Qui t’a dit que tu serai seul? Tu as déjà vu notre armée.”
Paul réfléchit.
“ Le groupe qui faisait du stretching sur la plage ? Une armée en maillot de bain?
-Jadis nous combattions nues, mais maintenant on s’habille un minimum, oui.
-Écoute, Sakine. Je ne comprends rien. Je ne comprends pas où je suis. Je ne comprends pas ce qui ce passe. Je ne comprends pas qui vous êtes. Je ne comprends pas pourquoi je suis là, ni à quoi je peux vous être utile. ”
Sakine s’arrêta et le regarda.
“ Tu est a Canary Bay. Jadis on nous appelait les sirènes. Nous faisions venir les hommes à nous pour recueillir leur semence et nous inséminer. Nous trions la semence, nous l’enrichissons et nous nous inséminons. Pour faire uniquement des femmes.
-Mais pourquoi faites-vous ça ? ”
Sakine prit un air grave.
“ Nous sommes de dernier recours de l’humanité en cas d’Apocalypse. Nous protégeons toute la vie humaine. Nous avons toutes les technologies et le savoir faire pour repeupler la Terre en cas de besoin. ”
Paul était abasourdi.
“ Mais si vous êtes les sirènes, vous… vous êtes des meurtrières !
-Mais non Paul, ce sont des légendes ça… nous n’avons jamais tué personne. Après avoir récupéré ce que nous avons besoin nous laissons repartir les marins.
-Ce n’est pas ce que disent les légendes. ”
Elle le regarda fixement.
“ Est-ce que j’ai une queue de poisson ? ”
Il fut bien obligé d’admettre qu’elle avait marqué un point.
“ Vous avez dû faire quelque chose après la guerre du Millénaire ?
-Non, il restait suffisamment de monde sur Terre pour redémarrer une Humanité sans notre aide. Nous avons suivi votre guerre contre les machines de loin, sans pouvoir hélas intervenir d’une quelconque manière. Même si nous y avons payé aussi notre tribut.
-Comment survivez-vous?
-Avec la semence des marins perdus. Nous faisons des enfants. Enfin, des filles uniquement. Pour assurer notre propre avenir.
-Et en cas d’apocalypse ?
-Nous avons un réserve de semence pour faire des garçons et des filles, toutes ethnies confondues.
-Et moi dans tout ça ?
-Toi tu es particulier. Nous devons te garder jusqu’à l’avènement de la prophétie. Ou jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’on s’était trompées et que tu n’est pas l’homme pur.
-Donc je suis votre prisonnier ?
-Non. Tu est libre de circuler sur toute l’île. Seule la pointe nord est interdite, mais elle est interdite à tout le monde. C’est la que la plupart des bateaux échouent après que nous ayons récupérés les marins. La zone est dangereuse. Mais ne t’inquiètes pas, elle est clairement indiquée et délimitée. Tu ne risques pas d’y entrer par accident. Mais mieux vaut rester par ici de toute façon.
-Et… ça va durer combien de temps ?
-Cela dépend de l’antihomme… S’il ne vient pas, quelques mois je suppose.
-Oh, super. Me voilà coincé sur une île perdue avec que des femmes pour des mois entiers. ”
Il s’arrêta net.
“ Minute, reprit-il. Il n’y a que des femmes ?
-Oui. Tu es le seul homme.
-Et.. vous êtes combien ?
-Pas loin de quinze mille. ”
Paul affichait un large sourire. Des tas d’idées lubriques lui surgirent à l’esprit. Un homme reste un homme.
“ N’y pense même pas, lâcha Sakine. Insémination artificielle uniquement ! ”
Le large sourire s’effaça.
“ Mais tu rêvera encore de moi, ou d’une autre. ” -
La Princesse et la Rose : Chapitre II
Le lendemain, le royaume s’apprêtait à fêter les dix huit ans de la Princesse Lisamélie. Le château avait été décoré de rubans et de banderoles.
Des invités arrivaient du monde entier.
Dans la grande salle de réception du château, Maximilien le jardinier finissait de fleurir le moindre recoin. La Princesse adorait les fleurs, aussi le Roi souhaitait que le plus grand nombre de fleur soit représenté. Alors qu’il mettait la touche finale à son œuvre, la grande porte s’ouvrit et un grand homme grisonnant entra. C’était Valik le gris, le magicien royal.
-Bonjour Maximilien, dit-il. Comment allons nous aujourd’hui ?
-Bonjour Valik. Je vais bien merci. Je viens de finir la décoration. J’espère que cela plaira à la Princesse. Votre long périple s’est-il bien passé ?
-Oui, mais j’arrête les voyages désormais. Tout ceci n’est plus de mon âge.
-Et que venez-vous faire, mon vieil ami ? Vous ne venez pas enchanter ma décoration j’espère ? La Princesse n’ a plus l’âge pour les nappes dansantes !
-Non, fini la magie pour enfants… Je vais jeter un sortilège de protection sur la pièce, afin d’éviter tout problème pendant la fête.
-Vous pouvez ensorceler une pièce complète ? Vous m’étonnerez toujours. Votre art est vraiment particulier.
-Les sors de protection sont monnaie courante en magie. C’est juste la taille du sort qui varie. Aujourd’hui c’est une vaste pièce que je dois protéger. Mais j’ai déjà fait bien pire.
-Je vous laisse faire alors, répondit Maximilien. Je ne voudrais pas interférer avec votre magie… et vous savez que ça me fait un peu peur ces trucs là !
Il se dirigea vers la grande pièce alors que Valik levait les mains au ciel en fermant les yeux.
-Par tous les Dieux, par tous les Saints, par tous les Démons, passés, présents et futurs, par toutes les magies et les sorcelleries, j’use de tous mes pouvoirs pour protéger cette pièce de toute tentative de malversations et de fourberies…
Maximilien quitta la pièce et n’entendit pas la fin du charme.
La grande salle de réception était pleine de monde. Des princes, Princesse, Rois et Reine du monde entier étaient là. Un peu isolé au bord de la salle, Maximilien regardait tout le beau monde se pavaner.
Un peu partout, d’immenses plateaux étaient posés sur des tables encore plus grandes. La nourriture et les boissons de toutes sortes étaient présents en abondance.
Sur une estrade, au fond de la salle, le Roi, la Reine et la Princesse était debout.
-Merci à vous tous, déclara le Roi. Merci d’être venus si nombreux pour fêter les dix-huit ans de ma fille, Lisamélie. C’est un plaisir que de tous vous revoir. Certains vieux amis sont là, certains anciens ennemis aussi, et c’est un honneur que vous nous faites de venir ainsi nous voir en cette occasion particulière. Il y a aujourd’hui dix huit ans, continua le Roi, naissait ma petite Lisamélie, petit bébé mais avec une voix puissante, si vous voyais ce que je veux dire! La vie de mon épouse et la mienne en furent profondément chamboulées, mais jamais nous n’avons regrettés. Nous avions reçu de nombreux témoignages de sympathie, et de nombreux cadeaux. Le plus beau fut sans doute l’accord de paix signé avec le Roi Éric d’Affiglâle. La naissance de ma fille mettait fin à une guerre de plus de deux cents ans dont nous avions tous oubliés les origines. Encore merci au Roi Éric pour l’intelligence dont il a fait preuve dans sa manière de diriger son royaume et pour ce traité de paix.
Le Roi Éric, présent dans la salle, leva la main et cria:
-Arrête avec tes histoires de vieux, place aux jeunes !
Le roi sourit.
Isolé dans son coin, Maximilien observait tout le monde quand son regard tomba sur Soren, le jeune fils du roi Éric. La manière dont Soren regardait Lisamélie en disait long. Du haut de ses vingt ans, il était sous le charme de la belle princesse.
-Tu as raison Éric, continua le Roi. Comme un signe du destin, notre fille a toujours été un symbole de paix. Un être angélique que rien ne semble énerver. C’est pourquoi nous vous annonçons aujourd’hui que nous comptons prendre notre retraite. Quand nous aurons inauguré le nouveau centre pour les orphelins, dans deux mois, nous organiserons la cérémonie de couronnement de notre fille. Puisse-t-elle régner sur un royaume en paix. Je ne vous embêterais pas plus longtemps, aussi je vous invite à entamer les buffets !
Les gens dans la salle applaudirent puis se dirigèrent vers les tables contenant nourriture et boissons. Le Roi, la Reine et la Princesse descendirent de l’estrade et se dirigèrent également vers les buffets, avec la plus grande difficulté. En effet, ils étaient arrêtés régulièrement pour serrer des mains ou recevoir des félicitations.
La reine s’arrêta pour parler à des amis, alors que le Roi et la Princesse continuèrent leur progression. Quand ils arrivèrent enfin à une des tables, le roi proposa un verre de champagne à sa fille.
-Non merci, papa. Tu sais que je ne bois pas d’alcool.
-Tu n’avais pas le droit d’en boire. Maintenant tu peux !
-J’ai déjà goûté… Je n’aime pas. Je vais plutôt me chercher un jus de fruits.
-Même là tu est raisonnable ma fille. Comme je t’admire.
Il porta la coupe de champagne à la bouche, en bu une gorgée, et tomba au sol, inanimé.
-Papa, hurla Lisamélie.
Les gens autour de lui s’écartèrent. En quelques secondes, Valik le magicien était à ses côtés, et l’examina prestement.
-Il respire, cria-t-il. -
Comme il est dur de voir pleurer quelqu’un qu’on aime
Comme il est facile de voir les nuages dans le ciel,
Comme il est beau de voir ses enfants déployer leurs ailes,
Comme il est triste de voir ces discours de haine,
Comme il est dur de voir pleurer quelqu’un qu’on aime.La vie est faite de joies, et souvent de peines,
Elle nous attend toujours au tournant avec son lot de surprises,
Ces choses auxquelles on ne survit qu’en lâchant prise,
Mais comme il est dur de voir pleurer quelqu’un qu’on aime.Un soir heureux, l’autre anéanti,
Un jour on pleure un autre on rit.
Il n’est jamais aisé de partager ses peines
Comme il est dur de voir pleurer quelqu’un qu’on aime.Je voudrais toutes les protéger,
Leur dire tout l’amour que j’ai à leur donner,
Chasser de leurs têtes toutes ces sorcières de Salem,
Mais comme il est dur de voir pleurer quelqu’un qu’on aime. -
Les quatre tours : Chapitre I : Europa 151. David.
-David ! Viens on va être en retard à l’école !
David, huit ans, était trop préoccupé à regarder ce qui se passait sur sa droite. Déjà, il y avait cette personne bizarre. Elle ressemblait en tout point à quelqu’un de normal, mais quelque chose clochait, il ne savait pas dire quoi. Comme si cette femme n’était en fait pas humaine. Cela le fit sourire. Enfin quelque chose qui sortait de l’ordinaire.
-David ! On va se faire gronder par Madame Stone !
Alicia, sa petite sœur de six ans, avait vraiment peur de se faire disputer. Il faut dire que Madame Stone, la directrice de l’école, n’avait pas bonne réputation. On disait même que les enfants avaient peur d’elle jusqu’au moins l’étage 1’000’000.
-Pars en avant, répondit David. Je te rejoins.
-D’accord, lança Alicia en se mettant à courir aussi vite qu’elle le pouvait.
Alicia ne risquait rien. En cette journée de Janvier, la température était de trente six degrés Celsius. Un peu frais pour cette journée d’hiver. Peut-être que la climatisation déraille, se dit David. Ce ne serait pas la première fois. Un jour l’hiver dernier, la température était descendue à vingt cinq degrés. Il se souvint qu’il était frigorifié. La température dans la tour descendait rarement sous les trente cinq degrés. Il n’y avait pas de véhicules. Soit l’on marchait, soit l’on utilisait les translateurs pour se déplacer dans l’étage. Les ascenseurs étaient réservés car il était interdit de changer d’étage, sauf autorisation spéciale.
Car David vivait dans une tour. Une des Quatre Tours. La Tour Europa.
En l’an 2158, la surpopulation fût telle que les Hommes décidèrent de construire quatre immenses tours pour se loger. Quatre tours identiques. Un diamètre d’environ deux cents kilomètres, et s’élevant jusqu’au delà de l’orbite géostationnaire. Trente six mille kilomètres de haut. Trois millions d’étages, ayant chacun une hauteur de plafond allant de dix à deux cents mètres selon les classes. L’Humanité avait mis cent quarante quatre ans à les construire. Le reste de la Terre était devenu un vaste champ, prévu pour nourrir les habitants des tours. Des outils automatisés s’occupaient de tout et ramenaient la nourriture par cargo dans les tours.
Les habitants étaient distribués dans les étages par classe. Pour faire simple, plus on était riche, plus on était haut et plus la tour était agréable à vivre.
Les 150 étages bas étaient des étages techniques. Climatisation, locaux techniques, informatique, salles serveurs, gestion des ordures, tout était fait, en automatique, dans ces 150 étages. Comme c’était automatisé, très peu de personne y avaient accès. Et c’est ce qui turlupinait David. Car la femme presque normale essayait d’ouvrir la porte qui menait aux étages techniques. Habitant l’étage 151, ils étaient l’accès principal à pied vers ces étages interdits.
Bien qu’il n’ait que huit ans, ils se posait déjà plein de questions. Si elle était habilitée à accéder aux étages techniques, pourquoi n’avait-elle pas pris l’ascenseur ? Car elle venait forcément d’en haut. C’est la première fois de sa vie qu’il voyait quelqu’un franchir cette porte. C’était d’ailleurs la première fois qu’il voyait cette porte ouverte. Et c’était même la première fois qu’il voyait quelqu’un d’un autre étage. Peut-être était-ce pour cela qu’elle lui semblait bizarre? Les habitants des autres étages étaient-ils humains? Son esprit se mit à divaguer.
Il tourna la tête vers sa sœur qui s’éloignait en courant de ses petites jambes ridicules.
Il tourna la tête vers la porte de la technique.
Autour de lui, la brume se formait, signe que la climatisation allait se remettre en route et que la température allait remonter vers quarante degrés. Les murs de métal froid reflétaient les lumières des néons du bar d’en face dont le tenancier lavait les tables. L’homme ne le regardait pas.
Devant lui, la femme bizarre avait ouvert la porte et s’apprêtait à la franchir.
David tourna sur lui-même pour observer le peu de passant. Tout le monde était déjà au travail, et ceux qui n’en avaient plus dormaient encore d’avoir consommés leurs peu de crédits restants dans l’alcool du bar d’en face. Dont son père.
Personne ne le regardait.
– Tu va faire une bêtise, chuchota une petite voix dans la tête de David.
-Je sais, se répondit-il à voix haute.
-Maman va te gronder. Et Madame Stone aussi.
-Oui.
-Et Papa va encore te frapper.
Son visage se referma.
-Je sais, s’avoua-t-il.
Son père était violent quand il avait bu. Et depuis qu’il avait été licencié de l’usine de robots, il buvait beaucoup. Beaucoup trop, même. Alicia et Maman étaient ses cibles préférées, car David commençait à savoir se défendre. Ce qui ne l’empêchait pas de se prendre une bonne raclée. Parfois même il se laissait faire, dans l’espoir qu’il passe ses nerfs sur lui et que Maman et Alicia soient tranquilles. Ce qui restait globalement très rare.
Un dernier coup d’œil circulaire. Personne ne le regardait.
-Mauvaise idée, chuchota la voix.
-Très mauvaise, ajouta David. -
Canary Bay : Chapitre I
New Bangkok. La ville du vice et de la débauche. Paul Anderton déambulait dans les rues mi bitumées, mi boueuses de la vieille ville.
Autour de lui, les grattes ciels en partie en ruines, détruits par la Guerre du Millénaire, côtoyaient les nouvelles constructions qui arboraient fièrement leurs néons roses bonbons représentant des femmes nues ou des enseignes de maisons closes.
Les rues fourmillaient de vendeurs à la sauvette qui tentaient de refourguer leurs rats rôtis, leurs hamburgers de poissons ou leurs insectes grillés aux visiteurs, habitants, et touristes en tout genre.
Un homme heurta son épaule et le regarda d’un air menaçant. Paul baissa les yeux et continua sa route. Il savait comment fonctionnait ce genre de loustics. Ils savaient utiliser toutes les ruses pour vous chercher des noises. Toutes les raisons étaient bonnes pour vous tabasser. Et vous piquer votre fric, au passage.
Il le savait mieux que quiconque, New Bangkok était une ville dangereuse. Et pour cause, il pratiquait lui aussi divers petits larcins, notamment à base d’arnaque. La baston n’était pas son truc. Parfois il bossait aussi pour des mecs pas très nets. C’est pour cette raison qu’il était là aujourd’hui.
Il revenait de Bang Ken, au nord de New Bangkok. Il venait de réussir son meilleur coup. Son plus gros coup. Le meilleur coup qu’il aurait pu imaginer. Il avait réussi à braquer les Triades du Nord et leur voler leur bien le plus précieux.
Il passa devant la vitrine du Maxi Monster Friend, dont le verre brouillé grisâtre laissait voir la silhouette d’une femme nue située derrière. Ses mouvements laissaient peu de place à l’imagination quant à savoir quel genre d’individu était placé derrière elle, et ce qu’il lui faisait. Il fût tenté de s’arrêter, mais préféra attendre d’avoir fini son travail.
Sur sa gauche se profilait maintenant l’entrée du Jack Rabbit’s Royal Casino, destination préférée des touristes qui pensaient venir faire fructifier leur maigre capital dans le but de s’offrir une heure ou deux de plus avec une prostituée. Il se retourna pour être sûr de ne pas avoir été suivi, puis se dirigea vers la porte, ou un molosse en costard attendait de pouvoir casser la gueule au premier qui le ferait chier.
“ Vous avez des armes, demanda le balèze.
-Oui, répondit Paul. Mais pas sur moi. ”
Il ne mentait pas, pour une fois. Il savait pertinemment que, armé, il ne serait jamais entré. L’homme le fouilla rapidement.
“ T’a une tête de fouteur de merde, lança le videur. Si tu essayes ici, je te bute.
-C’est de bonne guerre ”, répondit Paul l’air penaud.
Le videur ouvrit la porte, et aussitôt une bonne odeur monta au nez de Paul. L’odeur du fric. L’endroit puait le pognon sans commune mesure. Après un grand hall avec la caisse où l’on pouvait échanger ses jetons, une vaste salle se présentait, pleine de jeux divers, et surtout de gens venus claquer leur fric.
La moquette au sol était d’un rouge vif, et la beauté de l’endroit n’avait d’égal que la pauvreté qui régnait dans les rues, juste de l’autre côté de la porte. Les jeux étaient variés : les classiques Black Jack et tables de poker côtoyaient, dans un coin, plusieurs tables de Speed Dozer qui réunissaient un peu de monde. Le plafond était d’un blanc immaculé, orné de dorures et servant d’attache à des lustres à pampilles dont la véritable nature des diamants n’était même pas discutable
“ Paul ! Paul qu’est ce que tu fout la ? ”
Jimmy était arrivé de la gauche. Bien fringué, comme toujours. C’était un ami de Paul. Un peu devenu une sorte d’ange gardien qui tentait de lui éviter de faire trop de conneries.
“ Salut Jimmy ! Tu vas…
-Mais tu est maboul ? Tu as une quelconque idée de ce que te fera Zhen si il sait que tu est ici ?
-T’inquiètes pas ma poule. Je suis venu me racheter. Il ne voudra plus me tuer après ça !
-Si il te laisse le temps de parler !
-Fais-moi confiance, Jimmy… pour une fois que je sais ce que je fait ! ”
Jimmy fit une tête déconfite.
“ C’est ce qui m’inquiète le plus”, répondit ce dernier.
Ensemble ils se dirigèrent vers le fond de la salle, où une porte blindée trônait fièrement entre deux gardes du corps encore plus patibulaires que le type de l’entrée.
“Je viens voir Zhen, annonça Paul.
-Putain de merde, lança un des gardes. T’a des couilles pour te pointer ici après ce que t’a fait au boss.
-C’était un malentendu, répondit Jimmy. Enfin je pense.
-Allez entre la tafiole. Je suis pressé de voir comment il va vous buter.
-Vous, répondit Jimmy. Comment ça, vous ? J’ai rien fait moi ! ”
Le garde ouvrit la porte et Paul entra. Le garde bloqua Jimmy.
“ Toi le pingouin tu reste la ”, lâcha le vigile.
La porte se referma lourdement derrière Paul. Au bout de quelques instants à déambuler dans les couloirs. Sur les côtés, des portes donnaient sur des pièces ou des agents comptaient l’argent. Il arriva enfin dans les salons privés de Zhen. Celui-ci, assis dans un canapé d’un rouge criard, l’accueillit froidement.
“ Paul Anderton! Par tous les dieux, tu es le mec le plus couillu que je connaisse ! Je suis curieux de savoir comment tu ose te présenter devant moi avec tout le fric que tu m’a fait perdre !
-Bonjour Zhen. Je sais j’ai merdé sur le coup des Américains.
-Merdé, s’emporta Zhen en se levant d’un bond comme un diable sort de sa boîte. Merder, c’est quand tu trompe ta femme et que tu te fais chopper ! Me faire perdre deux millions de crédits c’est salement au-dessus de ça !
-Je suis venu pour me faire pardonner. ”
Zhen explosa de rire.
“ Te faire pardonner ? Tu pense quoi, Paulo ? Que je suis ta mère ? Emmenez ce gars dans la ruelle et butez-le !”
Alors qu’un vigile allait l’attraper, Paul sortit un objet de sa poche. Un mû. Un petit objet autonome capable de contenir une quantité effroyable de données et une intelligence artificielle de base. Le genre d’objet qui avait été interdit après la Guerre du Millénaire. La guerre contre les machines. Le genre d’objet qui n’était désormais détenu que par quelques parrains de mafias, et dont la technologie pour l’exploiter avait été bannie. En le voyant, Zhen se ravisa.
“ Attendez ! Qu’est-ce que c’est, demanda-t-il.
-Tu le sais très bien, Zhen. Je suis sur que tu as à peu près le même. Un mû contenant une comptabilité noire, des dossiers explosifs, et des preuves de pleins de choses qui pourraient faire tomber un cartel. Ou une mafia. ”
Zhen paraissait de plus en plus intéressé.
“ Une fois que tu en aura extrait ce qui t’intéresse, et je sais que tu as le technologie pour, tu pourra les envoyer à la police, et faire tomber facilement les propriétaires de ce mû.
-Et… A qui appartient-t-il ? ”
Paul sourit.
“ Aux triades du nord. Quand elles seront tombées, tu sera le seul maître de New Bangkok. ”
Zhen sourit à son tour, s’approcha de Paul et enroula son bras autour de son cou dans un geste amical.
“ J’ai toujours su que tu étais un mec bien et que tu allais te racheter, Paulo. Tu veux un verre ?
-Non merci, Zhen. Je vais repartir. Je voulais juste régler cette affaire rapidement pour éviter que tu ne mette ma tête à prix.
-C’est une idée judicieuse que tu as eu ! Tu es sur que tu ne veux rien avant de partir ?
-Si ce n’est pas abuser, juste vingt crédits pour prendre un taxi. J’habite le vieux Samut Sakhon maintenant, et c’est pas la porte à côté à pied…
-Samut Sakhon ? C’est là que tu te planquais alors ? Vieil escroc ! Filez cent crédits à cet homme, qu’il puisse au moins aller aux putes !”
L’intérieur du Maxi Monster Friend tenait bien les promesse que sa vitrine en verre brouillé grisâtre donnait. Paul constata avec étonnement que le salon principal permettait déjà d’avoir un aperçu des femmes, des hommes et autres individus non binaires qui louaient leurs corps contre quelques crédits.
Il se présenta à l’accueil à une bien jolie demoiselle – mais était-ce vraiment une femme ? – qui lui demanda quelles étaient ses envies. N’étant pas fixé, elle lui présenta un écran et fit défiler des photos de ses employés disponibles.
Il jeta son dévolu sur une Transexuelle du nom d’Anya qui avait un physique qui lui plaisait bien. La gérante attrapa un talkie walkie et baragouina dans un langage que seuls les tenanciers de bordels semblaient connaître. Quelques instants plus tard, Anya arriva. Grande, brune, peau foncée. Elle portait un soutien-gorge de cuir noir et une mini jupe que Paul qualifia en pensée de “vraiment mini”.
“ Tu veux de l’exib ou tu préfère être tranquille, demanda-t-elle.
-Je préfère un peu de calme ”, répondit Paul.
Elle le prit par la main et l’emmena dans un long couloir. Certaines parois étaient opaques, d’autres grisées. D’autres encore entièrement transparentes, laissant voir des couples, des trios, ou plus, s’adonner à tous types de relations sexuelles. Hétéro, gays, lesbiens, fétichistes. Tout était représenté sans aucun tabou.
Ils entrèrent dans une pièce à la lumière tamisée et sans vis-à-vis. Il ferma la porte derrière lui et donna un tour de verrou.
La faible lumière permettait difficilement de voir toute la décoration de la pièce, qui devait être spartiate selon Paul. Dans un coin, un matelas posé au sol était visible dans la pénombre.
Anya se colla à Paul et l’embrassa goulument. Il passa ses mains derrière elle et dégrafa son soutien-gorge. A son tour, elle enleva le t-shirt de Paul. Il sentit alors ses petits seins galbés contre sa propre poitrine, ce qui fît monter son excitation. Quand elle se recula et fit tomber sa jupe, elle mit à jour un pénis d’une taille plus que raisonnable. Paul fût un peu surpris par la taille de la verge, puis se rapprocha d’elle pour l’embrasser à nouveau.
Le lendemain, Paul se réveilla chez lui, dans son lit, l’esprit tranquille. Il avait enfin pu dormir sur ses deux oreilles, sans craindre d’être trouvé et assassiné par les sbires de Zhen. Il s’assit, complètement nu, et bu un peu d’eau trouble dans le verre situé sur sa table de chevet. Le mal de tête qui commençait à se déclarer lui confirma que de l’eau, et uniquement de l’eau, serait la boisson idéale pour la journée. Sa chambre, qui était aussi sa salle à manger, cuisine, salle de bains, toilettes, était dans un état pitoyable. Crasseux et tout le contraire du casino luxueux où il était la veille. Sur un mur, une photo de lui et Jimmy quand ils étaient jeunes, jouant dans les rues en ruine de New York.
Alors qu’il se levait, quelqu’un tambourina à la porte. Une voix masculine se fit entendre.
“ Paul ! Ouvre vite, c’est Jimmy !
-Du calme, j’arrive !”
Il chercha tranquillement un caleçon à peu près propre à enfiler. Il se dirigea vers la porte où Jimmy continuait de s’exciter.
“ Qu’est-ce qui t’arrive Big Jim? T’a forcé sur le Speed? Je t’ai déjà dit que ça allait te bousiller la santé… ”
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase, Jimmy était déjà entré et avait claqué la porte derrière lui. Il paraissait paniqué.
“ Putain Paul, mais qu’est-ce que t’a foutu?
-Quoi? J’ai rien fait pour une fois ! Tu va m’expliquer ce qui ce passe ?
-Il se passe que tôt ce matin les triades du Nord se sont pointées au Jack Rabbit’s ! Ils ont buté plein de monde et sont répartis avec un mû ! Leur mû ! Celui que tu leur a piqué ! ”
Paul changea de couleur.
“ Et Zhen, demanda-t-il, fébrile.
-Zhen, a survécu, et il a mis ses équipes sur toi ! Ta tête est mise à prix à plus de cinq mille crédits ! Ils vont venir, tu dois te barrer vite fait ! ”
A ce moment, une vitre de l’appartement vola en éclats, transpercée par des balles, et Jimmy s’effondra au sol, la tête et le corps criblés de balles.
Paul se jeta au sol pendant qu’autour de lui, les balles sifflaient, faisant voler en éclats la table de chevet, l’oreiller, et divers objets. Les fenêtres explosaient toutes les unes après les autres. Il regarda Jimmy, étendu au sol. Il allait l’appeler mais se retint quand il vit que sa cervelle n’était plus entièrement dans sa boîte crânienne.
Il profita alors d’une accalmie pour se lever et se diriger vers la porte d’entrée en courant, mais une autre salve l’en empêcha. Il bifurqua et plongea au travers de la fenêtre arrière, déjà explosée. Ce faisant, il chuta d’un étage et atterrit dans une benne à ordures pleine. L’odeur l’aurais fait vomir si il n’avait eu qu’une idée en tête : fuir encore, et loin.
Jimmy, le pauvre Jimmy. Il le pleurerais plus tard. Il savait qu’il avait un bateau dans le vieux port. Enfin, plutôt une coquille de noix. Mais ça suffirait pour s’enfuir. Seul problème : survivre aux deux kilomètres qui le séparait du port.
Il se mit donc à courir, en caleçon et pieds nus, sur la route boueuse, entre bâtiment en ruines et prostituées transexuelles. Quelques étals de fruits et légumes radioactifs lui barraient parfois le chemin, mais il les esquiva.
Il fit une pause. Il lui semblait être débarrassé de ses agresseurs. Personne ne le suivait. Alors qu’il reprenait son souffle, un bruit de moto rompit le silence. Paul regarda dans la direction du bruit et aperçu un homme sur une moto noire, fonçant sur lui. Une arme automatique à la main. Paul se remit à courir vers le port, tentant de slalomer pour compliquer la visée de son agresseur. Des passants tombèrent autour de Paul, victimes de balles perdues. La moto se rapprochait dangereusement, et Paul eut une idée en voyant une barre de fer dépasser d’un tas d’ordures au sol. Il la saisit en courant, et quand la moto fut sur lui, il tenta de donner un coup au conducteur, qui l’evita avec une facilité déconcertante. Paul prit alors un risque et tenta de placer la barre dans la roue avant de la moto et réussit. Le véhicule fit un soleil et le conducteur fut propulsé loin devant par les airs, pour aller s’écraser dans un mur.
Paul récupéra la moto tombée au sol, enleva la barre qu’il venait d’y fourrer, l’enfourcha et partit en trombe. Une deuxième moto apparut sur sa gauche et le prit en chasse. De nouvelles salves de balles jaillirent et le manquèrent de peu. Il accéléra autant qu’il le pouvait, et évita de justesse un étal de fruits. Son poursuivant ne prit pas la peine de l’éviter et passa au travers. Le pauvre commerçant leva les bras au ciel en baragouinant dans la langue locale.
Au loin, Paul vit le port apparaître. Il repéra rapidement le petit bateau de Jimmy au bout d’un ponton de bois et s’y dirigea. C’était l’un des seuls bateau encore en métal. Depuis la guerre, les bateau en bois, quelque soit leur taille, étaient revenus à la mode.
Derrière lui, les balles sifflaient toujours. Un de ses rétroviseurs explosa. Alors qu’il allait s’engager sur le ponton et qu’il commençait à se poser la question de comment monter sur le bateau et le démarrer sans se faire tuer, une balle fit exploser son pneu arrière et il bascula sur le côté. Il dérapa sur le flanc de la moto qui continuait sa course folle sur le ponton, et se souvint avec douleur qu’il était encore en caleçon. Sa jambe droite lui faisait horriblement mal et lui semblait en feu. Il poussa un cri de douleur.
La moto continua de s’approcher du bord à une vitesse folle, jusqu’à finalement tomber dans l’eau avec son occupant. Il coula à pic et se maintint à la moto, alors que son poursuivant s’arrêta net au bord de l’eau pour vider son chargeur sur la surface.
Sous l’eau, Paul pouvait voir les balles entrer dans l’eau et tracer des sillons de bulles. Il nagea sous l’eau malgré l’horrible douleur qui irradiait dans sa cuisse, pour finalement ressortir discrètement sous le ponton, et attendre le départ du motard assassin. Il attendit encore ce qui lui semblait être une dizaine de minutes et se dirigea à la nage vers le bateau de son ami. Il y monta discrètement par bâbord et se coucha aussitôt pour ne pas être vu. Sa cuisse le faisait horriblement souffrir et la blessure avait vraiment une mauvaise mine.
Le bateau était vraiment ridicule par rapport aux autres présents dans le port. Environ cinq mètres de long sur deux de large. Paul se hissa jusqu’au poste de pilotage et récupéra la clé dans la partie secrète taillée par Jimmy. Ce con paumait toujours ses clés, aussi il les cachait partout où il en avait besoin…
Il démarra le bateau et poussa les gaz a fond pour s’éloigner le plus rapidement possible du port. Une fois à bonne distance, il s’effondra et s’autorisa à regarder sa cuisse. Celle-ci lui faisait atrocement mal. Il s’examina rapidement et conclut qu’aucune balle ne l’avait touché, malgré le nombre de cartouches tirées. Il repensa à Jimmy. L’espace d’un instant il eut honte de l’avoir abandonné. Mais il était mort, que pouvait-il faire d’autre ?
Il était mort.
Mort par sa faute.
Il se sentait coupable, comme si il avait lui-même pressé la détente.
Il avait pourtant été fier de son casse chez les triades du nord. Un beau coup, discret mais exceptionnel. Il pensait ne pas avoir été repéré. Grossière erreur.
Il était maintenant sur un bateau, grièvement blessé à la jambe. Son meilleur et seul ami était mort et il n’avait aucune foutue idée de où aller. Il sentit une vague de froid l’envahir, et s’endormit.
Quand il se réveilla, le soleil avait sérieusement entamé sa course vers l’océan et la rencontre serait pour bientôt. Le moteur du bateau était arrêté. Autour de lui, rien d’autre que l’immensité de l’océan. Sauf quand il regarda vers la poupe du bateau. Il écarquilla les yeux. Un énorme navire en bois fonçait droit vers lui. Il le reconnu immédiatement.
Une voix familière lui parvint, amplifiée par un antique porte voix. C’était Zhen.
“ Pas la peine de t’enfuir, Paulo. J’aurais ta peau même à l’autre bout du monde. ”
Paul se releva et tenta de redémarrer le bateau. Impossible. Il n’avait plus de carburant. Mais bon sang combien de temps avait-il dormi ?
Il se retourna alors, pour faire face à son destin. Il s’attendait à sentir la douleur lancinante d’une blessure par balle d’un instant à l’autre. Il voulait fermer les yeux mais n’y arrivait pas. Sur le pont, les sbires de Zhen paraissaient peu charitables. Le navire se rapprochait de plus en plus. Un des hommes pris un pistolet lance harpon, visa le bateau de Paul et fit feu. Le harpon, suivi par une corde, s’élança à une vitesse vertigineuse mais s’arrêta net à quelques mètres de Paul, avant de tomber à pic dans l’océan. Paul ne comprit pas ce qui venait de se passer.
Le bateau de Zhen continuait à se rapprocher dangereusement. Alors que l’homme au lance harpon essayait de comprendre ce qui venait de se passer, tout comme Paul, le bateau s’arrêta net, secoué d’un immense tremblement. Comme si il avait heurté un mur invisible, l’immense bateau se ratatina. Sa poupe s’écrasa sur elle-même et, l’arrière poussant, continua de s’écraser. Paul avait l’impression d’être derrière une vitre et que le bateau était en pâte à modeler. Il n’entendit aucun bruit, alors que le bruit aurait dû être assourdissant. Ou l’était sûrement de l’autre côté du mur invisible. Inexorablement, le bateau coula, à moins de dix mètres de Paul, avec tout son équipage. Et Paul le regarda, impuissant. Sans comprendre ce qu’il se passait.
Le navire sombra totalement, et Paul ne vit personne réapparaître. Tout le monde était mort.
C’est alors qu’un bruit aigu lui transperça les tympans. Aussitôt il se boucha les oreilles avec les mains mais le son était trop fort. Le bruit se fit de plus en plus fort. Il avait l’impression que sa tête allait exploser. Il n’entendit pas son moteur, pourtant vide de tout carburant, démarrer. Il s’évanouit.