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Les quatre tours : chapitre III : Europa 2’980’000. Rachael
L’inconnu se leva, et se rhabilla rapidement. Il posa sa main sur la box de paiement qui l’informa que, au vu des actes pratiqués, il serait prélevé de douze milles cinq cents crédits. Puis il sortit de la pièce en claquant la porte, sans un mot. Au-dessus de la porte, un léger voyant rouge indiquait que la chambre était occupée.
L’homme repartait pour la tour Asia et ne reviendrait sans doute jamais. Longeant les couloirs pour rejoindre le quai de départ, il pensa que les prostituées de l’étage d’embarquement étaient quand même bien pratiques et douées.
Dans la chambre toute de rose décorée, Rachael resta un instant sur son lit, nue. Elle commença à sentir du sperme sortir de son anus et se dit qu’il était temps de passer à la phase de lavage. Elle quitta ses draps de soie et se dirigea vers la salle de bains. Derrière elle, les draps furent aspirés par une minuscule fente dans le sol, et d’autres furent projetés du plafond. Des nanorobots intégrés se chargèrent de refaire le lit correctement, donnant l’impression que le lit se faisait tout seul.
La salle de bains était luxueuse, parfaite pour recevoir des clients exigeants et surtout très riches. Excessivement riches. Le client qui venait de sortir était resté très basique, pénétration vaginale et anale. Le nettoyage et la remise en service seraient rapide.
Rachael entra dans la douche et posa la main sur ses lèvres vaginales. Aussitôt un trait circulaire se dessina autour du périnée et le vagin se détacha. Elle le retira, cylindre de sept centimètres de diamètre et quinze centimètres de long. Elle fît pareil pour son rectum. Car Rachael était une androïde. Un être artificiel créé uniquement pour le plaisir des humains. Elle n’existait que pour exécuter des actes sexuels tarifés.
Elle déposa son vagin et son anus au sol, droits sous la douche. Les deux cylindres furent alors aspergés d’eau chargée de nanorobots qui nettoyèrent les deux accessoires. Puis elle prit elle-même sa douche.
Rachael souriait toujours quand elle pensait que cette eau chargée de nanorobots pleins de sperme ne serait recyclée qu’après avoir servi dans au moins deux cents douches des étages inférieurs à 2M. Elle l’avait vu lors d’une mise à jour ratée qui lui avait ouvert des accès auxquels elle n’avait logiquement pas droit. Une nouvelle mise à jour avait vite remplacé la précédente, bien entendu.
Quand les nanorobots eurent finis leurs œuvres, Rachael récupéra ses “accessoires” et les remit en place, en replaçant soigneusement le vagin pour ne pas mettre les lèvres de travers. Cela lui était arrivé une fois, et elle avait été convoquée par son centre de maintenance qui lui avait fait une remontée de bretelles dans les règles de l’art. Son corps devait être parfait, les clients payaient assez cher pour ça.
Elle retourna dans la chambre, et se rhabilla d’une manière très sexy. Dehors, le petit voyant passa du rouge au vert. Quelques minutes plus tard, la couleur des murs changea en une teinte sombre. Le prochain client arrivait. La déco était entièrement choisie par le client. Soit par des réglages préenregistrés, mais personnalisable à loisirs.
Un mur bascula pour faire apparaître des accessoires Sado-Maso: cravaches, pinces, godes. Mais aussi des scalpels. Rachael pensa qu’elle allait avoir besoin d’autres pièces détachées après ce client-ci.
Quelqu’un cogna à la porte.
– Entrez, lança Rachael d’une voix suave.
La porte s’ouvrit sur un couple, un homme et une femme, d’allure très distinguée.
– Bienvenue, dit Rachael.
– Bonjour, dit l’homme.
– J’ai cru comprendre que vous étiez très ouverte, lança la femme.
Rachael sourit d’un air coquin.
– Je ne dis jamais non. -
Les quatre tours : Chapitre II : Europa 1’543’735. Javier.
-Encore une journée de merde à surveiller les bourgeois, se dit Javier Ayrs.
Son réveil venait à peine de sonner qu’il était déjà blasé. De plus, il se réveillait avec un mal de tête digne d’un lendemain de fête. Alors que, à moins que ses souvenirs ne l’aient trahis, il n’avait rien fait de spécial.
Il sorti du lit, entièrement nu, et se frotta l’arrière du crâne. Il avait désormais mal comme si il s’était fait assommer. Il se souvenait pourtant très bien de la veille au soir. Il était rentré directement après le travail, avait mangé sa ration du soir de savon avant de se coucher, éreinté.
Le savon était cette espèce de bouillie infâme qu’ils essayaient de faire passer pour de la nourriture. Ils n’avaient de toute façon pas le choix, il n’y avait que ça à manger.
Dehors, les machines travaillaient les champs pour extraire toutes sortes de choses qui étaient converties en savon, purée nutritive bourrée de vitamines et de pleins de trucs bien pour la santé.
Évidemment, là où Javier travaillait, c’était différent.
En tant qu’agent de sécurité, il faisait partie des classes moyennes, ce qui expliquait qu’il vivait au milieu de la tour. Mais il faisait partie des rares privilégiés à avoir le droit de prendre l’ascenseur, car son travail se situait au niveau 2’789’233. Il était agent de sécurité dans un bar où les cadres venaient se distraire après leur travail. Et parfois se mettaient sur la tronche. C’est là que son job commençait. Les séparer avec le plus de tact possible. Aux étages 2M, on n’en vient pas aux mains voyons !
Par contre on mangeait ! Car autant en-dessous de l’étage 2 millions on mangeait du savon, autant au-dessus c’était différent. Car les étages 2’500’000 à 2’501’000 étaient des champ. De verts pâturages, avec des animaux et des fermes. Entièrement destinés à produire de la nourriture pour les bourgeois du million d’étages supérieur. Pâtes, légumes, viandes… Tout comme avant l’époque des tours! Mais pour cela il fallait gagner de l’argent. Beaucoup d’argent. L’étage 2’501’001 recrutait à partir de 5 millions de crédits gagnés par mois. Ce que Javier ne gagnerait même pas en une vie.
Il avait parfois senti cette bonne odeur de viande, cela devait être du bœuf. Mais il ne pouvait pas y goûter.
Il se dirigea vers la salle de bains. Le miroir connecté qui occupait tout le mur du fond lui renvoyait une image de lui avec des propositions de vêtements pour la journée. Sans surprise, la suggestion était le costume de base de la compagnie de sécurité Europa.
-Miroir sans vêtements, dit-il.
Aussitôt il se vit nu dans le miroir, mais ses parties génitales restaient brouillées, charte de déontologie oblige.
Il se dit que cette charte ne servait à rien, puisqu’il était seul, désespérément célibataire à presque quarante ans. Cette fausse pudeur qui était imposée commençait à lui taper sur les nerfs.
Il entra dans la douche et posa sa main sur la paroi de verre. Celle-ci afficha : “Javier Ayrs, 3’578 crédits restants, cette douche vous coûtera 79 crédits. Continuer ?”
Il tapota la coche pour valider, et la paroi de douche afficha : “Une promotion est en cours pour 3 minutes d’eau à température agréable pour 15 crédits. Souhaitez-vous en bénéficier?”
Il fut tenté de valider, mais il devait faire des économies, aussi il tapota la croix rouge pour refuser l’offre. La paroi afficha alors “Europa vous souhaite une bonne douche”.
L’eau se mit à couler du plafond et Javier grimaça. Elle était encore plus froide que d’habitude. La paroi de douche quand à elle indiquait un décompte commençant à deux minutes et cinquante neuf secondes.
Il se tourna et se retourna plusieurs fois et prit de l’eau dans sa bouche jusqu’à ce que le compteur arrive à zéro. Il attendit quelques instants que les gouttes retombent, et recracha le contenu de sa bouche. L’eau était chargée de nanorobots qui nettoyaient tout au passage et s’évacuaient vers l’égout. Plus besoin de se frotter, de produits chimiques, de brosses à dents, de serviettes. Le “tout automatique“ poussé jusque dans l’intimité. Javier pouvait voir les gouttes ruisseler sur son corps et ce dernier redevenait sec aussi vite.
Même les toilettes n’étaient plus nécessaire: à chaque enfant, à la naissance, on injectait une dose de nanorobots. Ceux-ci s’installaient dans la vessie et l’intestin et construisaient une sorte de désintégrateur. Tout ce qui y passait était décomposé au niveau atomique et donc plus rien n’était à évacuer.
Il sortit de la cabine de douche déjà sec et retourna devant le miroir. Celui-ci lui proposa à nouveau le costume de la compagnie. En bas à gauche, une inscription indiquait “Costume standard sécurité Europa, 118 crédits par jour”.
-Miroir valider vêtements, dit-il.
Un tube sortit du miroir, passant à travers, tenant le costume sur un cintre. Javier le saisit. Le tube retourna d’où il venait et le miroir reprit sa forme initiale.
Javier s’habilla, enfonça le cintre vide dans le miroir qui l’absorba sans faire de manières, puis sortit de la salle de bains. Il traversa rapidement la pièce qui servait de chambre et entra dans la salle à manger. C’était une petite pièce entièrement blanche. Javier se dit qu’il devait la personnaliser depuis des années, mais n’en n’avait jamais eu ni le temps, ni les moyens.
Une petite table trônait au milieu de la pièce avec une unique chaise. En face, un grand écran affichait une vue extérieure. Des champs à perte de vue avec des machines roulantes, volantes, creusantes… Toutes qui s’affairaient, en direct, à cultiver et extraire des matières premières constituant le savon.
Javier se dirigea vers l’écran. Ce dernier ajouta du texte sur l’image.
Météo : le soleil artificiel s’allumera dans 12 minutes. La température actuelle à votre étage est de 21 degrés Celsius. Elle montera jusqu’à 33 degrés à 14 heures.
Finances : il vous reste 3’381 crédits.
Informations : le groupe Europa annonce la réhabilitation des étages 2’810’005 à 2’810’008 pour améliorer le cadre de vie dégradé des habitants suite à une fuite d’eau ayant entraînée une inondation de 4 millimètres. Les étages seront entièrement remis à neuf.
-Petit déjeuner, dit Javier.
L’affichage de l’écran changea pour indiquer que le petit déjeuner était un repas très important et qu’il lui coûterait 52 crédits. Javier accepta en tapotant l’écran sur la touche de validation. Aussitôt, une petite trappe s’ouvrit sous l’écran et un bol rempli de savon un peu sucré lui fût distribué, accompagné d’une petite cuillère.
Javier le saisit, et se dirigea vers la table. Il le déposa face à la chaise et s’assit. Il commença à manger la bouillie qui lui servait de petit déjeuner tout en regardant hypnotiquement les machines travailler la terre. Bien sûr, il pourrait regarder autre chose, il y avait plus de 30’000 chaînes de télévision, mais l’immense majorité était payantes. Et les chaînes gratuites ne diffusaient que des émission de télé shopping qui incitaient à la consommation.
Une alarme retentit et un voyant s’alluma en rouge sur sa cuillère. Sur l’écran, un texte l’informa qu’Il mangeait trop vite et n’avait pas posé sa cuillère entre deux bouchées. C’était mauvais pour la santé et empêchait le sentiment de satiété.
Il posa sa cuillère, qui reprit sa couleur originale. L’alarme s’arrêta et l’écran le remercia de sa coopération, avant de reprendre le cours normal de sa diffusion.
Quand il eut fini son repas, il se leva, remit son bol où il l’avait trouvé et la trappe se referma. Au final, il ne savait pas où partaient les affaires qu’il mettait dans cette trappe. Un bol le matin et une assiette le soir. Il ne s’était jamais posé la question. -
Les quatre tours : Chapitre I : Europa 151. David.
-David ! Viens on va être en retard à l’école !
David, huit ans, était trop préoccupé à regarder ce qui se passait sur sa droite. Déjà, il y avait cette personne bizarre. Elle ressemblait en tout point à quelqu’un de normal, mais quelque chose clochait, il ne savait pas dire quoi. Comme si cette femme n’était en fait pas humaine. Cela le fit sourire. Enfin quelque chose qui sortait de l’ordinaire.
-David ! On va se faire gronder par Madame Stone !
Alicia, sa petite sœur de six ans, avait vraiment peur de se faire disputer. Il faut dire que Madame Stone, la directrice de l’école, n’avait pas bonne réputation. On disait même que les enfants avaient peur d’elle jusqu’au moins l’étage 1’000’000.
-Pars en avant, répondit David. Je te rejoins.
-D’accord, lança Alicia en se mettant à courir aussi vite qu’elle le pouvait.
Alicia ne risquait rien. En cette journée de Janvier, la température était de trente six degrés Celsius. Un peu frais pour cette journée d’hiver. Peut-être que la climatisation déraille, se dit David. Ce ne serait pas la première fois. Un jour l’hiver dernier, la température était descendue à vingt cinq degrés. Il se souvint qu’il était frigorifié. La température dans la tour descendait rarement sous les trente cinq degrés. Il n’y avait pas de véhicules. Soit l’on marchait, soit l’on utilisait les translateurs pour se déplacer dans l’étage. Les ascenseurs étaient réservés car il était interdit de changer d’étage, sauf autorisation spéciale.
Car David vivait dans une tour. Une des Quatre Tours. La Tour Europa.
En l’an 2158, la surpopulation fût telle que les Hommes décidèrent de construire quatre immenses tours pour se loger. Quatre tours identiques. Un diamètre d’environ deux cents kilomètres, et s’élevant jusqu’au delà de l’orbite géostationnaire. Trente six mille kilomètres de haut. Trois millions d’étages, ayant chacun une hauteur de plafond allant de dix à deux cents mètres selon les classes. L’Humanité avait mis cent quarante quatre ans à les construire. Le reste de la Terre était devenu un vaste champ, prévu pour nourrir les habitants des tours. Des outils automatisés s’occupaient de tout et ramenaient la nourriture par cargo dans les tours.
Les habitants étaient distribués dans les étages par classe. Pour faire simple, plus on était riche, plus on était haut et plus la tour était agréable à vivre.
Les 150 étages bas étaient des étages techniques. Climatisation, locaux techniques, informatique, salles serveurs, gestion des ordures, tout était fait, en automatique, dans ces 150 étages. Comme c’était automatisé, très peu de personne y avaient accès. Et c’est ce qui turlupinait David. Car la femme presque normale essayait d’ouvrir la porte qui menait aux étages techniques. Habitant l’étage 151, ils étaient l’accès principal à pied vers ces étages interdits.
Bien qu’il n’ait que huit ans, ils se posait déjà plein de questions. Si elle était habilitée à accéder aux étages techniques, pourquoi n’avait-elle pas pris l’ascenseur ? Car elle venait forcément d’en haut. C’est la première fois de sa vie qu’il voyait quelqu’un franchir cette porte. C’était d’ailleurs la première fois qu’il voyait cette porte ouverte. Et c’était même la première fois qu’il voyait quelqu’un d’un autre étage. Peut-être était-ce pour cela qu’elle lui semblait bizarre? Les habitants des autres étages étaient-ils humains? Son esprit se mit à divaguer.
Il tourna la tête vers sa sœur qui s’éloignait en courant de ses petites jambes ridicules.
Il tourna la tête vers la porte de la technique.
Autour de lui, la brume se formait, signe que la climatisation allait se remettre en route et que la température allait remonter vers quarante degrés. Les murs de métal froid reflétaient les lumières des néons du bar d’en face dont le tenancier lavait les tables. L’homme ne le regardait pas.
Devant lui, la femme bizarre avait ouvert la porte et s’apprêtait à la franchir.
David tourna sur lui-même pour observer le peu de passant. Tout le monde était déjà au travail, et ceux qui n’en avaient plus dormaient encore d’avoir consommés leurs peu de crédits restants dans l’alcool du bar d’en face. Dont son père.
Personne ne le regardait.
– Tu va faire une bêtise, chuchota une petite voix dans la tête de David.
-Je sais, se répondit-il à voix haute.
-Maman va te gronder. Et Madame Stone aussi.
-Oui.
-Et Papa va encore te frapper.
Son visage se referma.
-Je sais, s’avoua-t-il.
Son père était violent quand il avait bu. Et depuis qu’il avait été licencié de l’usine de robots, il buvait beaucoup. Beaucoup trop, même. Alicia et Maman étaient ses cibles préférées, car David commençait à savoir se défendre. Ce qui ne l’empêchait pas de se prendre une bonne raclée. Parfois même il se laissait faire, dans l’espoir qu’il passe ses nerfs sur lui et que Maman et Alicia soient tranquilles. Ce qui restait globalement très rare.
Un dernier coup d’œil circulaire. Personne ne le regardait.
-Mauvaise idée, chuchota la voix.
-Très mauvaise, ajouta David. -
Canary Bay : Chapitre I
New Bangkok. La ville du vice et de la débauche. Paul Anderton déambulait dans les rues mi bitumées, mi boueuses de la vieille ville.
Autour de lui, les grattes ciels en partie en ruines, détruits par la Guerre du Millénaire, côtoyaient les nouvelles constructions qui arboraient fièrement leurs néons roses bonbons représentant des femmes nues ou des enseignes de maisons closes.
Les rues fourmillaient de vendeurs à la sauvette qui tentaient de refourguer leurs rats rôtis, leurs hamburgers de poissons ou leurs insectes grillés aux visiteurs, habitants, et touristes en tout genre.
Un homme heurta son épaule et le regarda d’un air menaçant. Paul baissa les yeux et continua sa route. Il savait comment fonctionnait ce genre de loustics. Ils savaient utiliser toutes les ruses pour vous chercher des noises. Toutes les raisons étaient bonnes pour vous tabasser. Et vous piquer votre fric, au passage.
Il le savait mieux que quiconque, New Bangkok était une ville dangereuse. Et pour cause, il pratiquait lui aussi divers petits larcins, notamment à base d’arnaque. La baston n’était pas son truc. Parfois il bossait aussi pour des mecs pas très nets. C’est pour cette raison qu’il était là aujourd’hui.
Il revenait de Bang Ken, au nord de New Bangkok. Il venait de réussir son meilleur coup. Son plus gros coup. Le meilleur coup qu’il aurait pu imaginer. Il avait réussi à braquer les Triades du Nord et leur voler leur bien le plus précieux.
Il passa devant la vitrine du Maxi Monster Friend, dont le verre brouillé grisâtre laissait voir la silhouette d’une femme nue située derrière. Ses mouvements laissaient peu de place à l’imagination quant à savoir quel genre d’individu était placé derrière elle, et ce qu’il lui faisait. Il fût tenté de s’arrêter, mais préféra attendre d’avoir fini son travail.
Sur sa gauche se profilait maintenant l’entrée du Jack Rabbit’s Royal Casino, destination préférée des touristes qui pensaient venir faire fructifier leur maigre capital dans le but de s’offrir une heure ou deux de plus avec une prostituée. Il se retourna pour être sûr de ne pas avoir été suivi, puis se dirigea vers la porte, ou un molosse en costard attendait de pouvoir casser la gueule au premier qui le ferait chier.
“ Vous avez des armes, demanda le balèze.
-Oui, répondit Paul. Mais pas sur moi. ”
Il ne mentait pas, pour une fois. Il savait pertinemment que, armé, il ne serait jamais entré. L’homme le fouilla rapidement.
“ T’a une tête de fouteur de merde, lança le videur. Si tu essayes ici, je te bute.
-C’est de bonne guerre ”, répondit Paul l’air penaud.
Le videur ouvrit la porte, et aussitôt une bonne odeur monta au nez de Paul. L’odeur du fric. L’endroit puait le pognon sans commune mesure. Après un grand hall avec la caisse où l’on pouvait échanger ses jetons, une vaste salle se présentait, pleine de jeux divers, et surtout de gens venus claquer leur fric.
La moquette au sol était d’un rouge vif, et la beauté de l’endroit n’avait d’égal que la pauvreté qui régnait dans les rues, juste de l’autre côté de la porte. Les jeux étaient variés : les classiques Black Jack et tables de poker côtoyaient, dans un coin, plusieurs tables de Speed Dozer qui réunissaient un peu de monde. Le plafond était d’un blanc immaculé, orné de dorures et servant d’attache à des lustres à pampilles dont la véritable nature des diamants n’était même pas discutable
“ Paul ! Paul qu’est ce que tu fout la ? ”
Jimmy était arrivé de la gauche. Bien fringué, comme toujours. C’était un ami de Paul. Un peu devenu une sorte d’ange gardien qui tentait de lui éviter de faire trop de conneries.
“ Salut Jimmy ! Tu vas…
-Mais tu est maboul ? Tu as une quelconque idée de ce que te fera Zhen si il sait que tu est ici ?
-T’inquiètes pas ma poule. Je suis venu me racheter. Il ne voudra plus me tuer après ça !
-Si il te laisse le temps de parler !
-Fais-moi confiance, Jimmy… pour une fois que je sais ce que je fait ! ”
Jimmy fit une tête déconfite.
“ C’est ce qui m’inquiète le plus”, répondit ce dernier.
Ensemble ils se dirigèrent vers le fond de la salle, où une porte blindée trônait fièrement entre deux gardes du corps encore plus patibulaires que le type de l’entrée.
“Je viens voir Zhen, annonça Paul.
-Putain de merde, lança un des gardes. T’a des couilles pour te pointer ici après ce que t’a fait au boss.
-C’était un malentendu, répondit Jimmy. Enfin je pense.
-Allez entre la tafiole. Je suis pressé de voir comment il va vous buter.
-Vous, répondit Jimmy. Comment ça, vous ? J’ai rien fait moi ! ”
Le garde ouvrit la porte et Paul entra. Le garde bloqua Jimmy.
“ Toi le pingouin tu reste la ”, lâcha le vigile.
La porte se referma lourdement derrière Paul. Au bout de quelques instants à déambuler dans les couloirs. Sur les côtés, des portes donnaient sur des pièces ou des agents comptaient l’argent. Il arriva enfin dans les salons privés de Zhen. Celui-ci, assis dans un canapé d’un rouge criard, l’accueillit froidement.
“ Paul Anderton! Par tous les dieux, tu es le mec le plus couillu que je connaisse ! Je suis curieux de savoir comment tu ose te présenter devant moi avec tout le fric que tu m’a fait perdre !
-Bonjour Zhen. Je sais j’ai merdé sur le coup des Américains.
-Merdé, s’emporta Zhen en se levant d’un bond comme un diable sort de sa boîte. Merder, c’est quand tu trompe ta femme et que tu te fais chopper ! Me faire perdre deux millions de crédits c’est salement au-dessus de ça !
-Je suis venu pour me faire pardonner. ”
Zhen explosa de rire.
“ Te faire pardonner ? Tu pense quoi, Paulo ? Que je suis ta mère ? Emmenez ce gars dans la ruelle et butez-le !”
Alors qu’un vigile allait l’attraper, Paul sortit un objet de sa poche. Un mû. Un petit objet autonome capable de contenir une quantité effroyable de données et une intelligence artificielle de base. Le genre d’objet qui avait été interdit après la Guerre du Millénaire. La guerre contre les machines. Le genre d’objet qui n’était désormais détenu que par quelques parrains de mafias, et dont la technologie pour l’exploiter avait été bannie. En le voyant, Zhen se ravisa.
“ Attendez ! Qu’est-ce que c’est, demanda-t-il.
-Tu le sais très bien, Zhen. Je suis sur que tu as à peu près le même. Un mû contenant une comptabilité noire, des dossiers explosifs, et des preuves de pleins de choses qui pourraient faire tomber un cartel. Ou une mafia. ”
Zhen paraissait de plus en plus intéressé.
“ Une fois que tu en aura extrait ce qui t’intéresse, et je sais que tu as le technologie pour, tu pourra les envoyer à la police, et faire tomber facilement les propriétaires de ce mû.
-Et… A qui appartient-t-il ? ”
Paul sourit.
“ Aux triades du nord. Quand elles seront tombées, tu sera le seul maître de New Bangkok. ”
Zhen sourit à son tour, s’approcha de Paul et enroula son bras autour de son cou dans un geste amical.
“ J’ai toujours su que tu étais un mec bien et que tu allais te racheter, Paulo. Tu veux un verre ?
-Non merci, Zhen. Je vais repartir. Je voulais juste régler cette affaire rapidement pour éviter que tu ne mette ma tête à prix.
-C’est une idée judicieuse que tu as eu ! Tu es sur que tu ne veux rien avant de partir ?
-Si ce n’est pas abuser, juste vingt crédits pour prendre un taxi. J’habite le vieux Samut Sakhon maintenant, et c’est pas la porte à côté à pied…
-Samut Sakhon ? C’est là que tu te planquais alors ? Vieil escroc ! Filez cent crédits à cet homme, qu’il puisse au moins aller aux putes !”
L’intérieur du Maxi Monster Friend tenait bien les promesse que sa vitrine en verre brouillé grisâtre donnait. Paul constata avec étonnement que le salon principal permettait déjà d’avoir un aperçu des femmes, des hommes et autres individus non binaires qui louaient leurs corps contre quelques crédits.
Il se présenta à l’accueil à une bien jolie demoiselle – mais était-ce vraiment une femme ? – qui lui demanda quelles étaient ses envies. N’étant pas fixé, elle lui présenta un écran et fit défiler des photos de ses employés disponibles.
Il jeta son dévolu sur une Transexuelle du nom d’Anya qui avait un physique qui lui plaisait bien. La gérante attrapa un talkie walkie et baragouina dans un langage que seuls les tenanciers de bordels semblaient connaître. Quelques instants plus tard, Anya arriva. Grande, brune, peau foncée. Elle portait un soutien-gorge de cuir noir et une mini jupe que Paul qualifia en pensée de “vraiment mini”.
“ Tu veux de l’exib ou tu préfère être tranquille, demanda-t-elle.
-Je préfère un peu de calme ”, répondit Paul.
Elle le prit par la main et l’emmena dans un long couloir. Certaines parois étaient opaques, d’autres grisées. D’autres encore entièrement transparentes, laissant voir des couples, des trios, ou plus, s’adonner à tous types de relations sexuelles. Hétéro, gays, lesbiens, fétichistes. Tout était représenté sans aucun tabou.
Ils entrèrent dans une pièce à la lumière tamisée et sans vis-à-vis. Il ferma la porte derrière lui et donna un tour de verrou.
La faible lumière permettait difficilement de voir toute la décoration de la pièce, qui devait être spartiate selon Paul. Dans un coin, un matelas posé au sol était visible dans la pénombre.
Anya se colla à Paul et l’embrassa goulument. Il passa ses mains derrière elle et dégrafa son soutien-gorge. A son tour, elle enleva le t-shirt de Paul. Il sentit alors ses petits seins galbés contre sa propre poitrine, ce qui fît monter son excitation. Quand elle se recula et fit tomber sa jupe, elle mit à jour un pénis d’une taille plus que raisonnable. Paul fût un peu surpris par la taille de la verge, puis se rapprocha d’elle pour l’embrasser à nouveau.
Le lendemain, Paul se réveilla chez lui, dans son lit, l’esprit tranquille. Il avait enfin pu dormir sur ses deux oreilles, sans craindre d’être trouvé et assassiné par les sbires de Zhen. Il s’assit, complètement nu, et bu un peu d’eau trouble dans le verre situé sur sa table de chevet. Le mal de tête qui commençait à se déclarer lui confirma que de l’eau, et uniquement de l’eau, serait la boisson idéale pour la journée. Sa chambre, qui était aussi sa salle à manger, cuisine, salle de bains, toilettes, était dans un état pitoyable. Crasseux et tout le contraire du casino luxueux où il était la veille. Sur un mur, une photo de lui et Jimmy quand ils étaient jeunes, jouant dans les rues en ruine de New York.
Alors qu’il se levait, quelqu’un tambourina à la porte. Une voix masculine se fit entendre.
“ Paul ! Ouvre vite, c’est Jimmy !
-Du calme, j’arrive !”
Il chercha tranquillement un caleçon à peu près propre à enfiler. Il se dirigea vers la porte où Jimmy continuait de s’exciter.
“ Qu’est-ce qui t’arrive Big Jim? T’a forcé sur le Speed? Je t’ai déjà dit que ça allait te bousiller la santé… ”
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase, Jimmy était déjà entré et avait claqué la porte derrière lui. Il paraissait paniqué.
“ Putain Paul, mais qu’est-ce que t’a foutu?
-Quoi? J’ai rien fait pour une fois ! Tu va m’expliquer ce qui ce passe ?
-Il se passe que tôt ce matin les triades du Nord se sont pointées au Jack Rabbit’s ! Ils ont buté plein de monde et sont répartis avec un mû ! Leur mû ! Celui que tu leur a piqué ! ”
Paul changea de couleur.
“ Et Zhen, demanda-t-il, fébrile.
-Zhen, a survécu, et il a mis ses équipes sur toi ! Ta tête est mise à prix à plus de cinq mille crédits ! Ils vont venir, tu dois te barrer vite fait ! ”
A ce moment, une vitre de l’appartement vola en éclats, transpercée par des balles, et Jimmy s’effondra au sol, la tête et le corps criblés de balles.
Paul se jeta au sol pendant qu’autour de lui, les balles sifflaient, faisant voler en éclats la table de chevet, l’oreiller, et divers objets. Les fenêtres explosaient toutes les unes après les autres. Il regarda Jimmy, étendu au sol. Il allait l’appeler mais se retint quand il vit que sa cervelle n’était plus entièrement dans sa boîte crânienne.
Il profita alors d’une accalmie pour se lever et se diriger vers la porte d’entrée en courant, mais une autre salve l’en empêcha. Il bifurqua et plongea au travers de la fenêtre arrière, déjà explosée. Ce faisant, il chuta d’un étage et atterrit dans une benne à ordures pleine. L’odeur l’aurais fait vomir si il n’avait eu qu’une idée en tête : fuir encore, et loin.
Jimmy, le pauvre Jimmy. Il le pleurerais plus tard. Il savait qu’il avait un bateau dans le vieux port. Enfin, plutôt une coquille de noix. Mais ça suffirait pour s’enfuir. Seul problème : survivre aux deux kilomètres qui le séparait du port.
Il se mit donc à courir, en caleçon et pieds nus, sur la route boueuse, entre bâtiment en ruines et prostituées transexuelles. Quelques étals de fruits et légumes radioactifs lui barraient parfois le chemin, mais il les esquiva.
Il fit une pause. Il lui semblait être débarrassé de ses agresseurs. Personne ne le suivait. Alors qu’il reprenait son souffle, un bruit de moto rompit le silence. Paul regarda dans la direction du bruit et aperçu un homme sur une moto noire, fonçant sur lui. Une arme automatique à la main. Paul se remit à courir vers le port, tentant de slalomer pour compliquer la visée de son agresseur. Des passants tombèrent autour de Paul, victimes de balles perdues. La moto se rapprochait dangereusement, et Paul eut une idée en voyant une barre de fer dépasser d’un tas d’ordures au sol. Il la saisit en courant, et quand la moto fut sur lui, il tenta de donner un coup au conducteur, qui l’evita avec une facilité déconcertante. Paul prit alors un risque et tenta de placer la barre dans la roue avant de la moto et réussit. Le véhicule fit un soleil et le conducteur fut propulsé loin devant par les airs, pour aller s’écraser dans un mur.
Paul récupéra la moto tombée au sol, enleva la barre qu’il venait d’y fourrer, l’enfourcha et partit en trombe. Une deuxième moto apparut sur sa gauche et le prit en chasse. De nouvelles salves de balles jaillirent et le manquèrent de peu. Il accéléra autant qu’il le pouvait, et évita de justesse un étal de fruits. Son poursuivant ne prit pas la peine de l’éviter et passa au travers. Le pauvre commerçant leva les bras au ciel en baragouinant dans la langue locale.
Au loin, Paul vit le port apparaître. Il repéra rapidement le petit bateau de Jimmy au bout d’un ponton de bois et s’y dirigea. C’était l’un des seuls bateau encore en métal. Depuis la guerre, les bateau en bois, quelque soit leur taille, étaient revenus à la mode.
Derrière lui, les balles sifflaient toujours. Un de ses rétroviseurs explosa. Alors qu’il allait s’engager sur le ponton et qu’il commençait à se poser la question de comment monter sur le bateau et le démarrer sans se faire tuer, une balle fit exploser son pneu arrière et il bascula sur le côté. Il dérapa sur le flanc de la moto qui continuait sa course folle sur le ponton, et se souvint avec douleur qu’il était encore en caleçon. Sa jambe droite lui faisait horriblement mal et lui semblait en feu. Il poussa un cri de douleur.
La moto continua de s’approcher du bord à une vitesse folle, jusqu’à finalement tomber dans l’eau avec son occupant. Il coula à pic et se maintint à la moto, alors que son poursuivant s’arrêta net au bord de l’eau pour vider son chargeur sur la surface.
Sous l’eau, Paul pouvait voir les balles entrer dans l’eau et tracer des sillons de bulles. Il nagea sous l’eau malgré l’horrible douleur qui irradiait dans sa cuisse, pour finalement ressortir discrètement sous le ponton, et attendre le départ du motard assassin. Il attendit encore ce qui lui semblait être une dizaine de minutes et se dirigea à la nage vers le bateau de son ami. Il y monta discrètement par bâbord et se coucha aussitôt pour ne pas être vu. Sa cuisse le faisait horriblement souffrir et la blessure avait vraiment une mauvaise mine.
Le bateau était vraiment ridicule par rapport aux autres présents dans le port. Environ cinq mètres de long sur deux de large. Paul se hissa jusqu’au poste de pilotage et récupéra la clé dans la partie secrète taillée par Jimmy. Ce con paumait toujours ses clés, aussi il les cachait partout où il en avait besoin…
Il démarra le bateau et poussa les gaz a fond pour s’éloigner le plus rapidement possible du port. Une fois à bonne distance, il s’effondra et s’autorisa à regarder sa cuisse. Celle-ci lui faisait atrocement mal. Il s’examina rapidement et conclut qu’aucune balle ne l’avait touché, malgré le nombre de cartouches tirées. Il repensa à Jimmy. L’espace d’un instant il eut honte de l’avoir abandonné. Mais il était mort, que pouvait-il faire d’autre ?
Il était mort.
Mort par sa faute.
Il se sentait coupable, comme si il avait lui-même pressé la détente.
Il avait pourtant été fier de son casse chez les triades du nord. Un beau coup, discret mais exceptionnel. Il pensait ne pas avoir été repéré. Grossière erreur.
Il était maintenant sur un bateau, grièvement blessé à la jambe. Son meilleur et seul ami était mort et il n’avait aucune foutue idée de où aller. Il sentit une vague de froid l’envahir, et s’endormit.
Quand il se réveilla, le soleil avait sérieusement entamé sa course vers l’océan et la rencontre serait pour bientôt. Le moteur du bateau était arrêté. Autour de lui, rien d’autre que l’immensité de l’océan. Sauf quand il regarda vers la poupe du bateau. Il écarquilla les yeux. Un énorme navire en bois fonçait droit vers lui. Il le reconnu immédiatement.
Une voix familière lui parvint, amplifiée par un antique porte voix. C’était Zhen.
“ Pas la peine de t’enfuir, Paulo. J’aurais ta peau même à l’autre bout du monde. ”
Paul se releva et tenta de redémarrer le bateau. Impossible. Il n’avait plus de carburant. Mais bon sang combien de temps avait-il dormi ?
Il se retourna alors, pour faire face à son destin. Il s’attendait à sentir la douleur lancinante d’une blessure par balle d’un instant à l’autre. Il voulait fermer les yeux mais n’y arrivait pas. Sur le pont, les sbires de Zhen paraissaient peu charitables. Le navire se rapprochait de plus en plus. Un des hommes pris un pistolet lance harpon, visa le bateau de Paul et fit feu. Le harpon, suivi par une corde, s’élança à une vitesse vertigineuse mais s’arrêta net à quelques mètres de Paul, avant de tomber à pic dans l’océan. Paul ne comprit pas ce qui venait de se passer.
Le bateau de Zhen continuait à se rapprocher dangereusement. Alors que l’homme au lance harpon essayait de comprendre ce qui venait de se passer, tout comme Paul, le bateau s’arrêta net, secoué d’un immense tremblement. Comme si il avait heurté un mur invisible, l’immense bateau se ratatina. Sa poupe s’écrasa sur elle-même et, l’arrière poussant, continua de s’écraser. Paul avait l’impression d’être derrière une vitre et que le bateau était en pâte à modeler. Il n’entendit aucun bruit, alors que le bruit aurait dû être assourdissant. Ou l’était sûrement de l’autre côté du mur invisible. Inexorablement, le bateau coula, à moins de dix mètres de Paul, avec tout son équipage. Et Paul le regarda, impuissant. Sans comprendre ce qu’il se passait.
Le navire sombra totalement, et Paul ne vit personne réapparaître. Tout le monde était mort.
C’est alors qu’un bruit aigu lui transperça les tympans. Aussitôt il se boucha les oreilles avec les mains mais le son était trop fort. Le bruit se fit de plus en plus fort. Il avait l’impression que sa tête allait exploser. Il n’entendit pas son moteur, pourtant vide de tout carburant, démarrer. Il s’évanouit.