Les quatre tours : Tour Europa

  • Les quatre tours : Tour Europa

    Les quatre tours : chapitre III : Europa 2’980’000. Rachael

    L’inconnu se leva, et se rhabilla rapidement. Il posa sa main sur la box de paiement qui l’informa que, au vu des actes pratiqués, il serait prélevé de douze milles cinq cents crédits. Puis il sortit de la pièce en claquant la porte, sans un mot. Au-dessus de la porte, un léger voyant rouge indiquait que la chambre était occupée.
    L’homme repartait pour la tour Asia et ne reviendrait sans doute jamais. Longeant les couloirs pour rejoindre le quai de départ, il pensa que les prostituées de l’étage d’embarquement étaient quand même bien pratiques et douées.
    Dans la chambre toute de rose décorée, Rachael resta un instant sur son lit, nue. Elle commença à sentir du sperme sortir de son anus et se dit qu’il était temps de passer à la phase de lavage. Elle quitta ses draps de soie et se dirigea vers la salle de bains. Derrière elle, les draps furent aspirés par une minuscule fente dans le sol, et d’autres furent projetés du plafond. Des nanorobots intégrés se chargèrent de refaire le lit correctement, donnant l’impression que le lit se faisait tout seul.
    La salle de bains était luxueuse, parfaite pour recevoir des clients exigeants et surtout très riches. Excessivement riches. Le client qui venait de sortir était resté très basique, pénétration vaginale et anale. Le nettoyage et la remise en service seraient rapide.
    Rachael entra dans la douche et posa la main sur ses lèvres vaginales. Aussitôt un trait circulaire se dessina autour du périnée et le vagin se détacha. Elle le retira, cylindre de sept centimètres de diamètre et quinze centimètres de long. Elle fît pareil pour son rectum. Car Rachael était une androïde. Un être artificiel créé uniquement pour le plaisir des humains. Elle n’existait que pour exécuter des actes sexuels tarifés.
    Elle déposa son vagin et son anus au sol, droits sous la douche. Les deux cylindres furent alors aspergés d’eau chargée de nanorobots qui nettoyèrent les deux accessoires. Puis elle prit elle-même sa douche.
    Rachael souriait toujours quand elle pensait que cette eau chargée de nanorobots pleins de sperme ne serait recyclée qu’après avoir servi dans au moins deux cents douches des étages inférieurs à 2M. Elle l’avait vu lors d’une mise à jour ratée qui lui avait ouvert des accès auxquels elle n’avait logiquement pas droit. Une nouvelle mise à jour avait vite remplacé la précédente, bien entendu.
    Quand les nanorobots eurent finis leurs œuvres, Rachael récupéra ses “accessoires” et les remit en place, en replaçant soigneusement le vagin pour ne pas mettre les lèvres de travers. Cela lui était arrivé une fois, et elle avait été convoquée par son centre de maintenance qui lui avait fait une remontée de bretelles dans les règles de l’art. Son corps devait être parfait, les clients payaient assez cher pour ça.
    Elle retourna dans la chambre, et se rhabilla d’une manière très sexy. Dehors, le petit voyant passa du rouge au vert. Quelques minutes plus tard, la couleur des murs changea en une teinte sombre. Le prochain client arrivait. La déco était entièrement choisie par le client. Soit par des réglages préenregistrés, mais personnalisable à loisirs.
    Un mur bascula pour faire apparaître des accessoires Sado-Maso: cravaches, pinces, godes. Mais aussi des scalpels. Rachael pensa qu’elle allait avoir besoin d’autres pièces détachées après ce client-ci.
    Quelqu’un cogna à la porte.
    – Entrez, lança Rachael d’une voix suave.
    La porte s’ouvrit sur un couple, un homme et une femme, d’allure très distinguée.
    – Bienvenue, dit Rachael.
    – Bonjour, dit l’homme.
    – J’ai cru comprendre que vous étiez très ouverte, lança la femme.
    Rachael sourit d’un air coquin.
    – Je ne dis jamais non.

  • Les quatre tours : Tour Europa

    Les quatre tours : Chapitre II : Europa 1’543’735. Javier.

    -Encore une journée de merde à surveiller les bourgeois, se dit Javier Ayrs.
    Son réveil venait à peine de sonner qu’il était déjà blasé. De plus, il se réveillait avec un mal de tête digne d’un lendemain de fête. Alors que, à moins que ses souvenirs ne l’aient trahis, il n’avait rien fait de spécial.
    Il sorti du lit, entièrement nu, et se frotta l’arrière du crâne. Il avait désormais mal comme si il s’était fait assommer. Il se souvenait pourtant très bien de la veille au soir. Il était rentré directement après le travail, avait mangé sa ration du soir de savon avant de se coucher, éreinté.
    Le savon était cette espèce de bouillie infâme qu’ils essayaient de faire passer pour de la nourriture. Ils n’avaient de toute façon pas le choix, il n’y avait que ça à manger.
    Dehors, les machines travaillaient les champs pour extraire toutes sortes de choses qui étaient converties en savon, purée nutritive bourrée de vitamines et de pleins de trucs bien pour la santé.
    Évidemment, là où Javier travaillait, c’était différent.
    En tant qu’agent de sécurité, il faisait partie des classes moyennes, ce qui expliquait qu’il vivait au milieu de la tour. Mais il faisait partie des rares privilégiés à avoir le droit de prendre l’ascenseur, car son travail se situait au niveau 2’789’233. Il était agent de sécurité dans un bar où les cadres venaient se distraire après leur travail. Et parfois se mettaient sur la tronche. C’est là que son job commençait. Les séparer avec le plus de tact possible. Aux étages 2M, on n’en vient pas aux mains voyons !
    Par contre on mangeait ! Car autant en-dessous de l’étage 2 millions on mangeait du savon, autant au-dessus c’était différent. Car les étages 2’500’000 à 2’501’000 étaient des champ. De verts pâturages, avec des animaux et des fermes. Entièrement destinés à produire de la nourriture pour les bourgeois du million d’étages supérieur. Pâtes, légumes, viandes… Tout comme avant l’époque des tours! Mais pour cela il fallait gagner de l’argent. Beaucoup d’argent. L’étage 2’501’001 recrutait à partir de 5 millions de crédits gagnés par mois. Ce que Javier ne gagnerait même pas en une vie.
    Il avait parfois senti cette bonne odeur de viande, cela devait être du bœuf. Mais il ne pouvait pas y goûter.
    Il se dirigea vers la salle de bains. Le miroir connecté qui occupait tout le mur du fond lui renvoyait une image de lui avec des propositions de vêtements pour la journée. Sans surprise, la suggestion était le costume de base de la compagnie de sécurité Europa.
    -Miroir sans vêtements, dit-il.
    Aussitôt il se vit nu dans le miroir, mais ses parties génitales restaient brouillées, charte de déontologie oblige.
    Il se dit que cette charte ne servait à rien, puisqu’il était seul, désespérément célibataire à presque quarante ans. Cette fausse pudeur qui était imposée commençait à lui taper sur les nerfs.
    Il entra dans la douche et posa sa main sur la paroi de verre. Celle-ci afficha : “Javier Ayrs, 3’578 crédits restants, cette douche vous coûtera 79 crédits. Continuer ?”
    Il tapota la coche pour valider, et la paroi de douche afficha : “Une promotion est en cours pour 3 minutes d’eau à température agréable pour 15 crédits. Souhaitez-vous en bénéficier?”
    Il fut tenté de valider, mais il devait faire des économies, aussi il tapota la croix rouge pour refuser l’offre. La paroi afficha alors “Europa vous souhaite une bonne douche”.
    L’eau se mit à couler du plafond et Javier grimaça. Elle était encore plus froide que d’habitude. La paroi de douche quand à elle indiquait un décompte commençant à deux minutes et cinquante neuf secondes.
    Il se tourna et se retourna plusieurs fois et prit de l’eau dans sa bouche jusqu’à ce que le compteur arrive à zéro. Il attendit quelques instants que les gouttes retombent, et recracha le contenu de sa bouche. L’eau était chargée de nanorobots qui nettoyaient tout au passage et s’évacuaient vers l’égout. Plus besoin de se frotter, de produits chimiques, de brosses à dents, de serviettes. Le “tout automatique“ poussé jusque dans l’intimité. Javier pouvait voir les gouttes ruisseler sur son corps et ce dernier redevenait sec aussi vite.
    Même les toilettes n’étaient plus nécessaire: à chaque enfant, à la naissance, on injectait une dose de nanorobots. Ceux-ci s’installaient dans la vessie et l’intestin et construisaient une sorte de désintégrateur. Tout ce qui y passait était décomposé au niveau atomique et donc plus rien n’était à évacuer.
    Il sortit de la cabine de douche déjà sec et retourna devant le miroir. Celui-ci lui proposa à nouveau le costume de la compagnie. En bas à gauche, une inscription indiquait “Costume standard sécurité Europa, 118 crédits par jour”.
    -Miroir valider vêtements, dit-il.
    Un tube sortit du miroir, passant à travers, tenant le costume sur un cintre. Javier le saisit. Le tube retourna d’où il venait et le miroir reprit sa forme initiale.
    Javier s’habilla, enfonça le cintre vide dans le miroir qui l’absorba sans faire de manières, puis sortit de la salle de bains. Il traversa rapidement la pièce qui servait de chambre et entra dans la salle à manger. C’était une petite pièce entièrement blanche. Javier se dit qu’il devait la personnaliser depuis des années, mais n’en n’avait jamais eu ni le temps, ni les moyens.
    Une petite table trônait au milieu de la pièce avec une unique chaise. En face, un grand écran affichait une vue extérieure. Des champs à perte de vue avec des machines roulantes, volantes, creusantes… Toutes qui s’affairaient, en direct, à cultiver et extraire des matières premières constituant le savon.
    Javier se dirigea vers l’écran. Ce dernier ajouta du texte sur l’image.
    Météo : le soleil artificiel s’allumera dans 12 minutes. La température actuelle à votre étage est de 21 degrés Celsius. Elle montera jusqu’à 33 degrés à 14 heures.
    Finances : il vous reste 3’381 crédits.
    Informations : le groupe Europa annonce la réhabilitation des étages 2’810’005 à 2’810’008 pour améliorer le cadre de vie dégradé des habitants suite à une fuite d’eau ayant entraînée une inondation de 4 millimètres. Les étages seront entièrement remis à neuf.
    -Petit déjeuner, dit Javier.
    L’affichage de l’écran changea pour indiquer que le petit déjeuner était un repas très important et qu’il lui coûterait 52 crédits. Javier accepta en tapotant l’écran sur la touche de validation. Aussitôt, une petite trappe s’ouvrit sous l’écran et un bol rempli de savon un peu sucré lui fût distribué, accompagné d’une petite cuillère.
    Javier le saisit, et se dirigea vers la table. Il le déposa face à la chaise et s’assit. Il commença à manger la bouillie qui lui servait de petit déjeuner tout en regardant hypnotiquement les machines travailler la terre. Bien sûr, il pourrait regarder autre chose, il y avait plus de 30’000 chaînes de télévision, mais l’immense majorité était payantes. Et les chaînes gratuites ne diffusaient que des émission de télé shopping qui incitaient à la consommation.
    Une alarme retentit et un voyant s’alluma en rouge sur sa cuillère. Sur l’écran, un texte l’informa qu’Il mangeait trop vite et n’avait pas posé sa cuillère entre deux bouchées. C’était mauvais pour la santé et empêchait le sentiment de satiété.
    Il posa sa cuillère, qui reprit sa couleur originale. L’alarme s’arrêta et l’écran le remercia de sa coopération, avant de reprendre le cours normal de sa diffusion.
    Quand il eut fini son repas, il se leva, remit son bol où il l’avait trouvé et la trappe se referma. Au final, il ne savait pas où partaient les affaires qu’il mettait dans cette trappe. Un bol le matin et une assiette le soir. Il ne s’était jamais posé la question.

  • Les quatre tours : Tour Europa

    Les quatre tours : Chapitre I : Europa 151. David.

    -David ! Viens on va être en retard à l’école !
    David, huit ans, était trop préoccupé à regarder ce qui se passait sur sa droite. Déjà, il y avait cette personne bizarre. Elle ressemblait en tout point à quelqu’un de normal, mais quelque chose clochait, il ne savait pas dire quoi. Comme si cette femme n’était en fait pas humaine. Cela le fit sourire. Enfin quelque chose qui sortait de l’ordinaire.
    -David ! On va se faire gronder par Madame Stone !
    Alicia, sa petite sœur de six ans, avait vraiment peur de se faire disputer. Il faut dire que Madame Stone, la directrice de l’école, n’avait pas bonne réputation. On disait même que les enfants avaient peur d’elle jusqu’au moins l’étage 1’000’000.
    -Pars en avant, répondit David. Je te rejoins.
    -D’accord, lança Alicia en se mettant à courir aussi vite qu’elle le pouvait.
    Alicia ne risquait rien. En cette journée de Janvier, la température était de trente six degrés Celsius. Un peu frais pour cette journée d’hiver. Peut-être que la climatisation déraille, se dit David. Ce ne serait pas la première fois. Un jour l’hiver dernier, la température était descendue à vingt cinq degrés. Il se souvint qu’il était frigorifié. La température dans la tour descendait rarement sous les trente cinq degrés. Il n’y avait pas de véhicules. Soit l’on marchait, soit l’on utilisait les translateurs pour se déplacer dans l’étage. Les ascenseurs étaient réservés car il était interdit de changer d’étage, sauf autorisation spéciale.
    Car David vivait dans une tour. Une des Quatre Tours. La Tour Europa.
    En l’an 2158, la surpopulation fût telle que les Hommes décidèrent de construire quatre immenses tours pour se loger. Quatre tours identiques. Un diamètre d’environ deux cents kilomètres, et s’élevant jusqu’au delà de l’orbite géostationnaire. Trente six mille kilomètres de haut. Trois millions d’étages, ayant chacun une hauteur de plafond allant de dix à deux cents mètres selon les classes. L’Humanité avait mis cent quarante quatre ans à les construire. Le reste de la Terre était devenu un vaste champ, prévu pour nourrir les habitants des tours. Des outils automatisés s’occupaient de tout et ramenaient la nourriture par cargo dans les tours.
    Les habitants étaient distribués dans les étages par classe. Pour faire simple, plus on était riche, plus on était haut et plus la tour était agréable à vivre.
    Les 150 étages bas étaient des étages techniques. Climatisation, locaux techniques, informatique, salles serveurs, gestion des ordures, tout était fait, en automatique, dans ces 150 étages. Comme c’était automatisé, très peu de personne y avaient accès. Et c’est ce qui turlupinait David. Car la femme presque normale essayait d’ouvrir la porte qui menait aux étages techniques. Habitant l’étage 151, ils étaient l’accès principal à pied vers ces étages interdits.
    Bien qu’il n’ait que huit ans, ils se posait déjà plein de questions. Si elle était habilitée à accéder aux étages techniques, pourquoi n’avait-elle pas pris l’ascenseur ? Car elle venait forcément d’en haut. C’est la première fois de sa vie qu’il voyait quelqu’un franchir cette porte. C’était d’ailleurs la première fois qu’il voyait cette porte ouverte. Et c’était même la première fois qu’il voyait quelqu’un d’un autre étage. Peut-être était-ce pour cela qu’elle lui semblait bizarre? Les habitants des autres étages étaient-ils humains? Son esprit se mit à divaguer.
    Il tourna la tête vers sa sœur qui s’éloignait en courant de ses petites jambes ridicules.
    Il tourna la tête vers la porte de la technique.
    Autour de lui, la brume se formait, signe que la climatisation allait se remettre en route et que la température allait remonter vers quarante degrés. Les murs de métal froid reflétaient les lumières des néons du bar d’en face dont le tenancier lavait les tables. L’homme ne le regardait pas.
    Devant lui, la femme bizarre avait ouvert la porte et s’apprêtait à la franchir.
    David tourna sur lui-même pour observer le peu de passant. Tout le monde était déjà au travail, et ceux qui n’en avaient plus dormaient encore d’avoir consommés leurs peu de crédits restants dans l’alcool du bar d’en face. Dont son père.
    Personne ne le regardait.
    – Tu va faire une bêtise, chuchota une petite voix dans la tête de David.
    -Je sais, se répondit-il à voix haute.
    -Maman va te gronder. Et Madame Stone aussi.
    -Oui.
    -Et Papa va encore te frapper.
    Son visage se referma.
    -Je sais, s’avoua-t-il.
    Son père était violent quand il avait bu. Et depuis qu’il avait été licencié de l’usine de robots, il buvait beaucoup. Beaucoup trop, même. Alicia et Maman étaient ses cibles préférées, car David commençait à savoir se défendre. Ce qui ne l’empêchait pas de se prendre une bonne raclée. Parfois même il se laissait faire, dans l’espoir qu’il passe ses nerfs sur lui et que Maman et Alicia soient tranquilles. Ce qui restait globalement très rare.
    Un dernier coup d’œil circulaire. Personne ne le regardait.
    -Mauvaise idée, chuchota la voix.
    -Très mauvaise, ajouta David.