Les quatre tours : Chapitre I : Europa 151. David.
-David ! Viens on va être en retard à l’école !
David, huit ans, était trop préoccupé à regarder ce qui se passait sur sa droite. Déjà, il y avait cette personne bizarre. Elle ressemblait en tout point à quelqu’un de normal, mais quelque chose clochait, il ne savait pas dire quoi. Comme si cette femme n’était en fait pas humaine. Cela le fit sourire. Enfin quelque chose qui sortait de l’ordinaire.
-David ! On va se faire gronder par Madame Stone !
Alicia, sa petite sœur de six ans, avait vraiment peur de se faire disputer. Il faut dire que Madame Stone, la directrice de l’école, n’avait pas bonne réputation. On disait même que les enfants avaient peur d’elle jusqu’au moins l’étage 1’000’000.
-Pars en avant, répondit David. Je te rejoins.
-D’accord, lança Alicia en se mettant à courir aussi vite qu’elle le pouvait.
Alicia ne risquait rien. En cette journée de Janvier, la température était de trente six degrés Celsius. Un peu frais pour cette journée d’hiver. Peut-être que la climatisation déraille, se dit David. Ce ne serait pas la première fois. Un jour l’hiver dernier, la température était descendue à vingt cinq degrés. Il se souvint qu’il était frigorifié. La température dans la tour descendait rarement sous les trente cinq degrés. Il n’y avait pas de véhicules. Soit l’on marchait, soit l’on utilisait les translateurs pour se déplacer dans l’étage. Les ascenseurs étaient réservés car il était interdit de changer d’étage, sauf autorisation spéciale.
Car David vivait dans une tour. Une des Quatre Tours. La Tour Europa.
En l’an 2158, la surpopulation fût telle que les Hommes décidèrent de construire quatre immenses tours pour se loger. Quatre tours identiques. Un diamètre d’environ deux cents kilomètres, et s’élevant jusqu’au delà de l’orbite géostationnaire. Trente six mille kilomètres de haut. Trois millions d’étages, ayant chacun une hauteur de plafond allant de dix à deux cents mètres selon les classes. L’Humanité avait mis cent quarante quatre ans à les construire. Le reste de la Terre était devenu un vaste champ, prévu pour nourrir les habitants des tours. Des outils automatisés s’occupaient de tout et ramenaient la nourriture par cargo dans les tours.
Les habitants étaient distribués dans les étages par classe. Pour faire simple, plus on était riche, plus on était haut et plus la tour était agréable à vivre.
Les 150 étages bas étaient des étages techniques. Climatisation, locaux techniques, informatique, salles serveurs, gestion des ordures, tout était fait, en automatique, dans ces 150 étages. Comme c’était automatisé, très peu de personne y avaient accès. Et c’est ce qui turlupinait David. Car la femme presque normale essayait d’ouvrir la porte qui menait aux étages techniques. Habitant l’étage 151, ils étaient l’accès principal à pied vers ces étages interdits.
Bien qu’il n’ait que huit ans, ils se posait déjà plein de questions. Si elle était habilitée à accéder aux étages techniques, pourquoi n’avait-elle pas pris l’ascenseur ? Car elle venait forcément d’en haut. C’est la première fois de sa vie qu’il voyait quelqu’un franchir cette porte. C’était d’ailleurs la première fois qu’il voyait cette porte ouverte. Et c’était même la première fois qu’il voyait quelqu’un d’un autre étage. Peut-être était-ce pour cela qu’elle lui semblait bizarre? Les habitants des autres étages étaient-ils humains? Son esprit se mit à divaguer.
Il tourna la tête vers sa sœur qui s’éloignait en courant de ses petites jambes ridicules.
Il tourna la tête vers la porte de la technique.
Autour de lui, la brume se formait, signe que la climatisation allait se remettre en route et que la température allait remonter vers quarante degrés. Les murs de métal froid reflétaient les lumières des néons du bar d’en face dont le tenancier lavait les tables. L’homme ne le regardait pas.
Devant lui, la femme bizarre avait ouvert la porte et s’apprêtait à la franchir.
David tourna sur lui-même pour observer le peu de passant. Tout le monde était déjà au travail, et ceux qui n’en avaient plus dormaient encore d’avoir consommés leurs peu de crédits restants dans l’alcool du bar d’en face. Dont son père.
Personne ne le regardait.
– Tu va faire une bêtise, chuchota une petite voix dans la tête de David.
-Je sais, se répondit-il à voix haute.
-Maman va te gronder. Et Madame Stone aussi.
-Oui.
-Et Papa va encore te frapper.
Son visage se referma.
-Je sais, s’avoua-t-il.
Son père était violent quand il avait bu. Et depuis qu’il avait été licencié de l’usine de robots, il buvait beaucoup. Beaucoup trop, même. Alicia et Maman étaient ses cibles préférées, car David commençait à savoir se défendre. Ce qui ne l’empêchait pas de se prendre une bonne raclée. Parfois même il se laissait faire, dans l’espoir qu’il passe ses nerfs sur lui et que Maman et Alicia soient tranquilles. Ce qui restait globalement très rare.
Un dernier coup d’œil circulaire. Personne ne le regardait.
-Mauvaise idée, chuchota la voix.
-Très mauvaise, ajouta David.
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