La fille du métro
Je sors du lycée. Mes « collègues » n’étant pas vraiment des personnes assidues, je suis seul. Le soleil frappe mon visage pour la première fois depuis bien longtemps. Cette fois, l’hiver est vraiment parti, l’été s’installe. Pour longtemps, j’espère. Je me dirige vers la bouche du métro. Juste à côté de celle-ci, deux amoureux se retrouvent, s’enlacent puis s’embrassent tendrement. Je me dis qu’ils ont de la chance d’avoir peut-être trouvé l’âme soeur. Je continue mon trajet et pénètre dans la station de métro. Les escalators défilent sous mes pas, et finissent par m’emporter. A leur rythme, je descends dans les abysses de la planète, entouré de parois de métal et de céramique. J’arrive finalement dans la station et descends vers les quais. Je repense à ces deux personnes s’embrassant avec tendresse. Cela me fait rêver.
Je débouche sur le quai et la rame de métro arrive sans me faire attendre. Les portes s’ouvrent, avec un bruit pneumatique. J’entre. Les rames ont des reflets bleutés qui donnent une sensation d’irréalisme. J’avance vers la vitre située face à la porte, me retourne et m’y adosse. Je reste toujours debout dans le métro. Pas la peine de s’asseoir pour trois stations…
Les portes se referment.
La rame repart. Elle s’engouffre dans le tunnel, à peine éclairé de quelques faibles lampes disséminées sur sa longueur. Elle prends de la vitesse quelques secondes, puis ralentit. La station suivante est en vue. La rame y pénètre. Puis s’arrête. C’est une station très fréquentée, une bonne dizaine de personnes attendent sur le quai.
Les portes s’ouvrent.
Plusieurs personnes sortent, puis d’autres entrent. Et là, je suis littéralement frappé par une vision. Une vision de beauté, d’émerveillement. Jamais je n’ai ressenti un tel sentiment. Elle est là, devant moi. Elle me regarde. Un simple coup d’œil furtif qui met le feu à mon cœur. Elle détourne bien vite le regard et repère une place, s’y dirige et s’y assoit. Elle est seule dans ce coin, à deux mètres à peine de moi, et me faisant face. Elle ne me regarde plus, mais moi je la dévore des yeux. Elle a de longs cheveux châtains clairs qui lui cachent les oreilles, de petits yeux attendrissant dont je ne peut hélas pas voir la couleur. Elle a un petit nez, mignon, comme elle. Quelques taches de rousseurs au visage lui donnent l’air d’une collégienne. Mais les parfaites proportions de son corps rappellent aussitôt sa maturité physique.
Les portes se referment.
Je ne sais plus si la rame a démarrée ou est toujours à l’arrêt. Je la fixe. Mes yeux sont fixés sur les siens, malgré l’absence de réciprocité. Elle sort un baladeur cassette de sa poche, ainsi que deux écouteurs, les fourre dans ces oreilles et presse un bouton. Puis elle s’installe confortablement dans son siège. Elle a probablement une longue route à faire. Elle a baissée les yeux. Elle semble triste. La rame s’est de nouveau arrêtée et les portes s’ouvrent.
Je tente de détacher mon regard d’elle et de me concentrer sur autre chose. On m’a toujours appris qu’il était très impoli de fixer les gens. Mais c’est plus fort que moi. Je la trouve… parfaite.
Les portes se referment… sur mon état d’esprit.
La rame a redémarré. Je ne peux m’empêcher de jeter de furtifs regards à la fille la plus belle qui ne m’a jamais été donné de rencontrer. Puis mon regard finit par s’arrêter sur son visage. Je suis bloqué. Je ne peux plus détourner les yeux. Les siens fixent un point fictif près de son baladeur qu’elle tient toujours à la main. Puis soudain, elle lève les yeux et son regard croise le mien. Je détourne rapidement les yeux. Mon coeur se met à accélérer. Je fixe la porte devant moi. Je baisse les yeux. Mais je sens son regard épier les moindres de mes mouvements. Je tente de nouveau un regard, mais le sien est déjà présent. Je croise de nouveau le regard émis par ses magnifiques yeux. Les miens retournent bien vite fixer un point invisible face à moi. Je prends une grande inspiration. Je sens toujours le poids de son regard sur mon corps. Elle me fixe. Elle semblait triste. Pourquoi ne pas la consoler? Pourquoi ne pas profiter de ce siège vide face à elle pour s’asseoir et engager la conversation? Tout me pousserait à le faire. Mais je suis bloqué. Je ne contrôle plus mon corps. « Vas-y, mec » dit une voix dans ma tête. « Assis-toi face à elle, accoste la, demande lui l’heure, fait n’importe quoi, mais il faut que tu lui parle! Il faut que tu entendes le son de sa voix! » La proposition est tentante. Mais mon corps ne réponds toujours pas à mes ordres. Ma timidité à encore pris le dessus. Mes yeux aussi sont devenus ceux d’une personne triste. La rame s’arrête. Les portes s’ouvrent. C’est ma station.
Un regard triste fixe les yeux tout aussi tristes de cette jeune fille lorsque je quitte la rame. Elle me suit des yeux. Je sors lentement. Je voudrais tant pouvoir y retourner et engager la conversation. Mais je ne peux pas. Je n’y arrive pas. Les portes se referment derrière moi, et la rame repart. Je la vois s’éloigner de moi. Je sors de la station, lentement.
Le soleil frappe mon visage pour la première fois depuis bien longtemps. C’est l’impression que cela me fait. Comme si j’avais passé ma vie avec cette fille. Cette fille dont j’ignore le nom. Dont j’ignore même le son de la voix.
Je ne la reverrais probablement jamais. Et c’est sûrement un des plus gros regrets de ma vie.
21/05/2001
Partager ce contenu :