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Je n’ai fait que passer

Putain, qu’est-ce que je fous là ? Question qui en induit une autre, toute aussi troublante. Putain qui suis-je ?
Du calme. Une chose à la fois. Je suis dans le noir. Pourquoi ? Mes yeux sont fermés. Je n’arrive pas à les ouvrir. Je ne sens pas mon corps. Je ne peux pas bouger. Oh putain j’ai eu un accident. C’est forcément ça. Je suis dans le coma et mon corps ne réponds plus. Un accident de voiture probablement. Non pas possible je n’ai pas de voiture. Ah je me souviens de ça ! Je n’ai pas de voiture ! C’est déjà ça. Mais alors quel genre d’accident ? Renversé par une voiture peut-être. J’étais à vélo ? Non je déteste le vélo. Je devais être à pied. Mais j’allais où? Je venais d’où? Merde mais qui je suis ?
Je suis le Docteur.
Le docteur ? Je suis docteur ? Pourquoi cette phrase résonne différemment dans ma tête ? Est-ce que j’ai encore une tête ?
Le Docteur qui ?
Ça sonne bizarre. Comme si c’était un dialogue dans ma tête. Je ne pense pas être médecin. Docteur en électronique peut-être ? Docteur en physique quantique ? J’ai eu un accident d’accélérateur de particules en tentant une expérience de voyage dans le temps et mon corps n’a plus d’existence physique. Non n’importe quoi.
Juste le docteur.
Mais qu’est-ce que ça veut dire? Je comprends rien. Si il y a bien une chose dont je suis sûr, c’est de ne pas être docteur. Enfin, je pense. Mais qui je suis, concentre-toi, Dany !
Dany ? Oui, c’est ça, Dany! C’est mon prénom ! Enfin, un surnom. Quel est mon vrai nom ? Daniel ? Donovan ? Ou vraiment Dany ? Tout m’échappe ça m’énerve.
Bon la mémoire revient très lentement, concentre-toi sur ton corps. Je ne sens rien. J’ai l’impression de voler dans le vide. De flotter. Je suis dans l’espace ? Astronaute ? Non je verrais des étoiles. Je ne sens juste plus mon corps.
Tu n’es pas un Dalek.
Quoi ? C’est quoi un Dalek ? Bien sûr que non je ne suis pas un Dalek. Ce sont des monstres. Des monstres ? Attends. Ça y est je me souviens ! Le Docteur qui, le Docteur Who ! Ce n’est pas moi, c’est la série à la télé ! Je me souviens d’un truc de plus ! Concentre-toi Dany ! focalise-toi la-dessus ça t’aideras à retrouver la suite ! Que te rappelles-tu du Docteur ?
Règle numéro une : le Docteur ment.
Bravo. C’est réconfortant. Ça promet pour la suite. Comment être sûr que ce que je me rappelle est la vérité et pas une invention de mon cerveau mourant ?
Mourant ? Qui te dit que tu es mourant ?
Bon c’est officiel je suis cinglé. Je me parle à moi-même. D’un autre côté, je ne sens plus mon corps, je suis seul dans le noir et amnésique. Mais je me rappelle de mots comme “amnésique”, tout ne doit pas être perdu…
Après, si je ne suis pas mourant, pourquoi diable ne puis-je pas ouvrir mes yeux ou bouger le moindre muscle ? Les muscles. Mais oui ! Tu n’as même pas pensé à la base idiot ! Concentre toi sur ta respiration ! Est-ce que tu respires ?

Oui, tu respires ! Tu as un corps ! C’est magnifique ! J’ai un corps ! Et je ne suis donc pas un corps flottant dans l’espace non plus ! Pourquoi quand je me parle je dis “tu” ? Je me parle comme si je parlais à quelqu’un d’autre… Mais je m’en fout je respire ! C’est la première bonne nouvelle de la journée ! Ou de la nuit ? J’en sais rien. Il fait noir mais est-ce que c’est vraiment parce-que mes yeux sont fermés ? Peut-être sont-ils ouverts mais que je suis dans le noir complet ? Non, l’absence de clignement me ferait ressentir une brûlure atroce.
Mais non, idiot… Tu ne sent rien de ton corps, il est donc probable que tu ne sente pas ça non plus !
Bon reprenons calmement. Je m’appelle Dany ou quelque chose d’approchant. Je suis fan de Doctor Who et je respire. Je ne sens pas mon corps mais il existe.
Attends une minute. Une idée horrible me vient à l’esprit. Est-ce vraiment ma respiration que j’entends ? Je ne suis peut être finalement qu’une âme perdue qui erre et qui entend la respiration de son corps désincarné. Ce qu’il expliquait que j’ai dit, ou plutôt pensé qu’une idée m’était venue à l’esprit, et non pas en tête. Puisque dans ce cas, je n’ai plus de tête au sens physique du terme.
Aïe.
Oui, aïe. Aïe aïe, même. Cette douleur qui naît au creux de mes poumons. J’ai mal. C’est très douloureux. Même si c’est bon signe quand à l’existence physique de ma tête et du corps qui est censé y être raccordé.
La douleur augmente de plus en plus. Ça devient intolérable. Je sens quelques chose remonter.
Je tousse. Une toux grasse. Je sens les glaires remonter dans ma gorge. Je m’entends tousser. Ça se calme. La douleur disparaît progressivement. Mais une autre apparaît. Dans ma tête. Une douleur lancinante, de plus en plus forte. Un peu comme cette migraine du siècle que j’ai eu quand j’avais seize ans. Attends. Oui, je me souviens ! Ma première vraie migraine ! J’étais immobilisé dans mon lit, les tentures fermées, j’essayais d’être au maximum dans le noir ! J’avais tellement mal que j’étais incapable de me lever pour prendre un cachet de paracétamol. Je croyais que j’allais mourir tellement cette douleur était forte.
Aujourd’hui je n’en suis pas encore là , mais ce mal de tête est rassurant : j’ai encore une tête.
Je commence à sentir quelque chose, contre mon épaule droite. Quelque chose de dur. Les machins qu’on a dans la tête se réveillent. Ceux qui nous disent si on est allongés ou debout. Ils sont dans l’oreille interne je pense. Merde j’aurais dû mieux écouter mes cours de sciences nat’ au collège. Ça me prouve bien que je suis pas docteur. Bref ces trucs dans l’oreille me disent que je suis allongé. Ok. Je suis allongé sur un truc dur. Probablement au sol. Aucun matelas ne peut être aussi dur. Et aussi froid. Il fait froid d’un coup. Enfin il faisait sûrement déjà froid avant, mais maintenant je le sens.
En parlant de sentir, mon nez se réveille lentement également. J’ai l’impression que ça sent le bois. Je dois être allongé sur du parquet. Un parquet sacrément froid.
On n’est pas en hiver.
Non je sais. Pourquoi je me parle avec une deuxième voix ? Qui est-tu deuxième voix ? Tu as l’air d’en connaître un rayon !
On n’est pas en hiver.
Oui j’ai compris. Mais alors… Mais oui : pourquoi ai-je aussi froid ? Sûrement parce que tu est allongé par terre sur du parquet et que tu n’as pas as bougé depuis un certain temps. Non. Il fait vraiment froid. Ça caille. Et c’est pas juste moi. C’est autour de moi que ça pèle. J’ai froid à la main gauche. Oh ! Ma main gauche je te sens ! Enchanté ! Heureux de voir, ou plutôt sentir que tu fais encore partie  de moi ! 
Elle touche le sol. Il est bien froid je confirme. Pas gelé, mais froid. Comme du carrelage dans une maison qui a été aérée toute la matinée en plein hiver.
Mon épaule droite est bien réveillée maintenant et elle n’a pas aussi froid que ma main. J’en déduis donc que je suis habillé. Voilà qui est rassurant. Ce n’est pas aujourd’hui que je montrerai mes fesses aux infirmières. Par contre si j’ai été renversé par une voiture qu’est-ce que je fout sur du parquet ?
Une chose à la fois. Ce mal de tête persiste. Autant les poumons m’ont lâchés la grappe, autant la tête me fait de plus en plus mal. Et pas qu’à l’intérieur. Je pense avoir trouvé l’origine de mon amnésie : une forte douleur sur l’arrière du crâne. J’ai mal aux cheveux. J’ai dû me cogner en roulant après avoir été percuté. 
Attends encore un peu : si une voiture m’a percuté, je devrais avoir mal ailleurs… Je n’ai plus mal à la poitrine et je n’ai pas mal ailleurs. D’un autre côté, je ne sens toujours rien en dessous du nombril ni mon bras droit à part l’épaule.
Merde. Je suis handicapé. Je ne sens pas mes jambes. Je vais finir ma vie dans un fauteuil roulant comme un légume vivant au crochet de la société.
J’avais entendu parler d’un homme qui était devenu handicapé suite à un accident de la route. Son seul moyen de communiquer était de cligner des yeux. Mais moi je n’ai même pas le contrôle de mes paupières. Je suis sérieusement dans la merde.
Quoique… Oui, je commence à sentir mon pied droit ! Bonjour toi ! Je suis aussi content de te retrouver que ma main gauche ! J’arrive même à bouger mes orteils dans ma chaussure ! Hey, je sens ma chaussure ! Magnifique ! Les sensations remontent, je sens ma cheville. Je sens que j’ai une boots. Je peux partir du principe que l’autre pied est logé à la même enseigne… Il n’y a pas de raisons. Les sensations continuent de remonter le long de ma jambe droite. Je sens mon genou. Il est également posé au sol, déplié. Je dois être en position latérale de sécurité. Tiens, je me souviens de ça aussi. J’ai fait une formation au premiers secours dans le cadre de mon travail. Mais je travaille où ? Bon c’est pas grave, tout revient lentement. Concentre-toi sur ces sensations qui reviennent le long de ta jambe. Je sens maintenant ma cuisse. Et ma fesse. Tiens, j’ai froid à cet endroit. C’est pas normal ça. Pourquoi je serai habillé avec le cul à l’air ? Ça disparait. Je n’ai plus froid au cul. Sûrement un délire de mon cerveau qui se réveille. Si ce satané mal de tête pouvais disparaître aussi ce serai génial. Mon royaume pour du paracétamol. Ou un cachet d’aspirine, je ne suis pas raciste. Ça n’empire pas mais j’aimerais bien que ça se calme.
Je sens ma hanche complète désormais. Petit à petit tout reviens. Je vais tenter un truc… Oui j’y arrive ! Les doigts de ma main gauche bougent. Et mieux encore : ils font ce que je leurs demande ! Je sens bien le parquet sous mes doigts. Il est froid. Vraiment très froid. Je ne sais toujours pas où je suis mais ça caille vraiment…
Je plie les doigts et fait courir mes ongles sur le sol. Je sens les irrégularités du bois se dessiner sous mes ongles, comme les sillons d’un disque vinyle sous un diamant.
Mon pied gauche se réveille. Je sens qu’il est dans une boots aussi. Au moins je ne vais pas me balader sans mes godasses. J’aurais eu l’air con avec une seule chaussure. J’arrive même à bouger les orteils dans mes chaussures… Grand luxe ! Les progrès sont rapides, mais d’un autre côté je n’ai aucune notion du temps. Je suis réveillé depuis cinq minutes ou cinq heures ?
Une autre question commence à me turlupiner : depuis que je me suis rendu compte que j’entendais ma respiration, je n’ai rien entendu d’autre. Quand je gratte le parquet, j’entends le bruit de mes ongles sur le bois. Mais aucun bruit extérieur. Pas d’agitation, de cris. Pas de moteur, pas d’ambulance. Pas de pompier qui me dit “monsieur, vous m’entendez ? Serrez ma main si vous m’entendez”.
Il se passe quelque chose. Mes yeux. Une lueur blanche apparaît lentement. Non plutôt jaunâtre en fait. Je pense que mes yeux recommencent à fonctionner et que c’est la lumière qui passe au travers de mes paupières. J’essaie d’ouvrir les yeux. Ça marche ! Doucement. La lumière me fait mal. Mes paupières se referment et je plisse les sourcils. Je recommence tout doucement. La lumière jaunâtre se transforme en nuage jaune orangé. Je commence à distinguer le parquet. Il est marron foncé. Probablement du chêne. Je vois ma main, floue. Petit à petit mon champ de vision s’étend. Du parquet. Encore du parquet. Soit cette pièce est foutrement grande, soir je suis dans un champ de parquet. 
Non. Quelque chose d’autre. Un mur. Je le distingue de plus en plus nettement. Il semble être recouvert de lambris. Je suis dans un chalet au Canada ou quoi ? Il n’y a que du bois ici ?
Je sens tout mon corps à présent. Je vais tenter de me lever. Je m’appuie sur ma main gauche pour soulever mon corps. Je décolle mon épaule de quelques centimètres. Je vais bouger ma main droite pour qu’elle vienne aider sa copine.
Aie. Je me suis effondré. Dans la bagarre je me suis cogné la tête sur le côté droit. Au moins maintenant je sais pourquoi j’ai mal. Bon avant de se mettre debout on va déjà tenter de s’asseoir, ça me paraît plus raisonnable. Je vais éviter les acrobaties. Je place les deux mains sous mes épaules, paume contre le sol. Et je pousse. Oh putain j’ai l’impression d’avoir fait deux cents pompes. J’y suis presque. Mon corps doit être à quarante cinq degrés. Je vais y arriver. Mes bras commencent à trembler, ce n’est pas bon signe… Mes forces m’abandonnent. Je sens une goutte de sueur permet sur mon front malgré le froid. Mes bras tremblent de plus en plus. Ils vont me lâcher.
Je suis encore tombé. Je me suis encore cogné la tête. J’ai mal. Mais je ne m’avoue pas vaincu. Je réessaie. Les mains plaquées solidement au sol, bien espacées autour du corps, le long des épaules. Je respire un grand coup. Encore un coup. Et encore un. OK j’ai les chocottes. J’avoue. Mais merde deux chutes sur la tête coup sur coup ça fait mal. Je prends une grande inspiration. Je ferme les yeux et j’y vais. Je pousse de toutes mes forces. L’effort m’arrache un gémissement de douleur. Mes bras sont tendus. Ils recommencent à trembler. Je parviens à faire pivoter mon bassin. Ça y est je suis assis. Ça a été laborieux mais j’y suis arrivé. Je reprends mon souffle. J’ai l’impression d’avoir couru un 100 mètres haies sans entraînement. J’ouvre les yeux. Ma vision se fait nette rapidement désormais. Je regarde autour de moi. C’est une vaste pièce rectangulaire d’environ quinze mètres de long sur sept de large. Étonnement le sol est en parquet. Les murs sont toutes recouverts de lambris de la même teinte que le sol, marron foncé tendant un peu vers l’orangé. Sur les petits côtés de la pièce, une porte se dresse à chaque extrémité. Sur le long côté à ma droite, il y a quatre fenêtres qui donnent sur un ciel brumeux. Je ne vois rien d’autre que la brume à l’extérieur. J’irais voir ça de plus près dès que j’arriverai à me lever.
Sur le quatrième côté, une peinture gigantesque aux tons assez sombres représente deux hommes nus, juste vêtus d’une sortie de bain enroulée autour de la taille. Ils sont assis l’un à côté de l’autre sur une sorte de banc en bois… Décidément encore du bois. Ils sont entourés de brume ou peut-être de la vapeur. Oui c’est ça, ils sont dans un sauna. Près du banc on distingue les pierres sur lesquelles on jette de l’eau pour faire la vapeur.
L’homme de gauche à posé sa main sur la cuisse nue de l’autre et semble bien décidé à remonter. Il affiche un regard lubrique alors que l’autre semble timide.
J’espère que cela n’est pas annonciateur de la suite des événements… Et pourtant ce tableau me dit quelque chose sans pouvoir me rappeler quoi. D’un autre côté, même mon nom de famille m’est inconnu… Alors me souvenir d’une peinture représentant des homos…
Le reste des murs de la pièce ou je me trouve, comme les portes, est décoré finement, avec des ornements, à la manière d’un ancien château. Le plafond est assez haut, près de cinq mètres je dirais, ce qui me fait d’autant plus penser à une demeure de châtelain.
Mais bordel qu’est-ce que je fous dans un château ?
Maintenant que je suis assez bien réveillé, et assis, il faut que je me concentre sur mon arrivée ici. J’étais où avant ?
Je suis le Docteur.
Ça y est ça recommence.
J’ai menti.
Quoi ?
Règle numéro une : le Docteur ment.
Oui je sais ça. Je suis fan de la série donc je sais ça.
Le Docteur… Mais oui, c’est la dernière chose dont je me souviens ! J’étais dans mon canapé en train de regarder l’intégrale de la nouvelle série et Peter Capaldi venait de remplacer Matt Smith… J’étais en train de me demander si je préférais Matt Smith ou David Tennant. J’aimais bien David, mais Matt avait su imposer sa patte. Je n’étais pas encore convaincu par Peter. Mais il fallait lui laisser le temps car, après tout, j’avais eu du mal à accepter David Tennant à la suite de Christopher Eccleston. Et puis plus rien. Plus aucun souvenir. Bizarre. Je n’ai pas été renversé par une voiture dans mon salon?
Minute : j’ai l’air d’être en un seul morceau, si ce n’est ce vilain mal de tête. Donc il faudrait peut-être revoir la théorie de l’accident de la route…
En tous cas, une chose est sûre : il me manque un bout de mémoire. Celui qui expliquerait comment je suis passé de “Dans le ventre du Dalek” à un château bourgeois…
Toujours ce mal de tête lancinant… Ça commence à me taper sur le système… Bon allez, je tente de me lever.
Je pousse sur mes mains, plie le genou gauche pour faire glisser mon pied sous ma fesse, et déplie le tout très lentement… Voilà je suis debout ! Mais j’ai la tête qui tourne… Et pas qu’un peu… Allez courage ça va passer. Dans le pire des cas je reposerai mon cul au sol.
Première destination : les fenêtres. Je me dirige vers la plus proche, la deuxième en partant de la droite. Étonnement, il n’y a rien à voir dehors. La brume grisâtre est tellement épaisse que je distingue à peine les rebords des fenêtres. Pourtant ce n’est vraiment pas un problème de fenêtre, elles sont lavées impeccablement… Je pose la main sur le carreau pour essayer de gratter. Non, c’est sur, il n’y a pas d’autocollants pour me faire une blague… Je constate par contre que j’ai laissé une petite empreinte de doigt… J’espère que la femme de ménage ne m’en tiendra pas rigueur !
Bon, un brouillard à couper au couteau me prive de la seule chance que j’avais de savoir rapidement où je suis… Tant pis, je vais explorer.
Je laisse donc les fenêtres sur ma droite, et me dirige vers la porte située près des fenêtres. La poignée est tout ce qu’il y a de plus classique. Je l’abaisse doucement et tire la porte.
Derrière, un couloir d’environ huit mètres de long me fait face. Les murs sont du même bois que ceux de la pièce précédente. Aucune fenêtre, mais la lumière vient de six appliques murales, trois de chaque côté, disposées régulièrement.
J’avance dans le couloir, et la porte se referme derrière moi. J’approche de la seconde porte, actionne la poignée et la pousse. Je me retrouve face à une pièce tout en bois – étonnement – d’environ quinze mètres de long sur sept de large. Sur le mur de droite, quatre fenêtres donnent sur la brume extérieure. En face de moi, une porte à chaque extrémité du mur, et sur le mur de gauche une immense toile sombre.
Attend. La toile. C’est la même que dans la pièce précédente. Les hommes dans le sauna. J’entre dans la pièce et la porte se referme derrière moi. Je tourne sur moi-même. Toute la pièce est identique. C’est exactement la même pièce.
-C’est une blague cet endroit ?
J’ai dit ça à voix haute? Il faut croire. Je me parle tout seul dans ma tête et en vrai alors. Génial. Je deviens vraiment maboul.
Je décide de continuer d’avancer. Je prends encore la porte près des fenêtres, toujours dans le même sens. La porte donne sur un couloir, comme toute à l’heure. Je le linge, j’ouvre la porte au bout.
Encore la même pièce. Au détail près.
Le bois, les fenêtres, la brume, le tableau louche, les portes. Je recommence. La porte près des fenêtres. Le couloir. La porte au bout. La même pièce. Encore.
-Ok, très drôle comme blague !
Enfin si c’est une blague. Parce que je commence à flipper. Je me dirige vers la deuxième fenêtre, pour voir si le brouillard se lève. Mais rien. Toujours cette brume grisâtre et les carreaux d’une propreté parfaite. Sauf… Attend. C’est quoi ça ? Un défaut dans le carreau ? Une trace? Oui, une trace. Oh putain. C’est ma trace. Celle que j’ai laissé tout à l’heure sur le carreau. Mais c’est impossible ! C’était trois pièces plus loin !
J’ai peut-être tourné en rond? Non, impossible, toutes les pièces sont parfaitement rectilignes. D’une manière trop parfaite même.
Je continue d’avancer. La porte près des fenêtres, le couloir, la porte du bout.
La même pièce. Identique. Toujours le même tableau malsain. Je me dirige vers la deuxième fenêtre. La trace est la. Strictement identique. Strictement au même endroit.
Je commence sérieusement à flipper.
Je vais revenir en arrière. Ça me fait flipper ce truc.
Je reprends la porte qui m’a amené là. Le couloir, la porte.
Oh mon Dieu.
Ce n’est pas du tout la même pièce. Comment est-ce possible ? Celle-ci est carrée à vue d’œil. Environ quinze mètres de côté. Les murs sont lisses, peints en beige clair. Une colonne centrale, carrée, semble tenir le plafond, d’une hauteur d’environ six mètres. Une table ronde d’environ trois mètres de diamètre, recouverte d’une nappe blanche, prends la colonne pour centre. Sur la nappe d’un blanc immaculé sont posés des dizaines de plats. C’est un véritable banquet. Il y a plein d’assiettes. Toutes pleines. Il y en a pour tous les goûts. Je m’en approche et fait le tour. Des pâtes bolognaise, des pâtes carbonara, du couscous, des tajines, des sandwichs, des chips, des cacahuètes, pleins de viandes, des légumes… 
Tout semble à la bonne température, et il faut avouer que ça sent vachement bon.
C’est drôle, j’ai souvenir d’être difficile en ce qui concerne la nourriture, et pourtant tout ce que je voit me fait envie… Comme si celui qui avait fait cette table savait exactement tout ce que j’aime. Encore un truc bizarre.
Dans le coin de la pièce opposé à l’entrée se trouve une autre table, avec un grand verre et des dizaines de bouteilles de soda. Mes boissons préférées.
Je tourne sur moi-même pour analyser le reste de la pièce. Il n’y a qu’une seule porte : celle par laquelle je suis entré. Mais ça ne m’explique pas pourquoi ce n’est pas la pièce que j’ai quitté tout à l’heure.
Je prends quelques chips dans le creux de la main et quitte la pièce. Je longe le couloir et ouvre la porte. Je suis de retour dans la pièce d’origine, celle avec le tableau moche.
Je ne comprends pas comment les pièces peuvent être un coup identique, et un coup complément différentes… alors je vais tenter une expérience. Je dépose une chips aussi sol, à peu près au milieu de la pièce. Puis je quitte la pièce par la porte près des fenêtres, en laissant les fenêtres sur ma droite. J’ouvre la porte, longe le couloir et ouvre la porte. C’est la même pièce. Avec la chips aussi milieu.
Putain je ne comprend plus rien. Je reviens sur mes pas. Je longe le couloir, ouvre la porte et retombe sur la salle avec la bouffe.
Je crois commencer à comprendre la logique du truc même si c’est bizarre : les portes donnent tous sur un lieu précis. La porte le long des fenêtres lorsque les fenêtres sont sur la gauche donne sur cette salle des banquets. Alors que celle juste en face reboucle sur la même salle au tableau Zarbi. Comment c’est possible je ne sais pas, mais c’est ce qui arrive. La même pièce, à la chips près. Mais sur quoi donnent les deux autres porte ?
Ma curiosité est forte, mais il y a cette bonne odeur de bouffe et je commence à faim. Et ça fera peut-être passer ce mal de tête…
Il y a beaucoup de choix, mais mon dévolu va se porter sur le couscous royal. J’adore le couscous. Il n’y a pas grand chose dont je me souvienne, mais ça, oui !
Je prends l’assiette, des couverts sont posés dedans, je me cale sur un coin de la table et je commence à m’empiffrer. C’est vraiment, mais alors vraiment trop bon. Épicé juste ce qu’il faut, la merguez est excellente, la semoule fine est recouverte de sauce, le poulet fond dans la bouche et l’agneau est succulent. Par contre ça donne soif. Allez, soyons fous ! Je change de table et le set un grand verre de soda que j’avale en une fraction de seconde, puis je retourne à mon couscous. Il est vite avalé également. Je me ressert un verre, l’avale cul sec, puis je retourne vers la porte.
Je suis bien décidé à voir ce qui se cache derrière les deux autres portes. Je traverse le couloir. La porte s’ouvre sur la salle au tableau bizarre, avec une chips aussi milieu. Je décide de prendre la porte la plus proche de moi, côté tableau. Derrière il y a toujours le même couloir. Les mêmes dimensions, les mêmes matériaux. Une porte aux bout. Je l’ouvre. Elle donne sur une salle aux dimensions identique à la salle de banquet. Sauf qu’au lieu d’avoir à manger, il y a trois sortes de statues, semblants représenter des scènes.
Je m’approche de la première. On dirait de la pierre. Elle semble à l’échelle.
Elle représente une femme poussant un landau. Elle semble infiniment triste. Le landau est vide.
Je vais voir la deuxième statue. Il s’agit d’un couple qui se tient par la main. Mais la femme n’a pas de visage.
Elles sont vraiment bizarre ces statues mais en même temps les situations qu’elles évoquent semblent me parler sans que je comprenne vraiment.
Je m’approche de la dernière statue. Celle-ci représente un très jeune garçon allongé, nu, dans un lit. Il se cache les parties génitales avec les mains. Il semble très timide et gêné. Au pied du lit, une jeune fille, à peine plus vieille, le regarde d’un air gourmand. Il semblerait que le garçon ne partage pas cette envie, bien au contraire.
Pourquoi ces statues, et particulièrement la dernière, me rendent-elles triste ? Comme si elles touchaient une partie enfouie de mon âme ? Une sensation étrange m’envahit soudain. J’ai l’impression d’être allongé. Pourtant je suis toujours debout. Ça disparait. Encore un coup de mon oreille interne, probablement.
Je sors de la pièce par l’unique porte et reviens dans la salle à la chips. Je passe devant le tableau moche et le contemple à nouveau. Autant cette situation me dégoute car l’homme au regard lubrique ne semble pas se soucier des désirs de l’autre, autant j’ai cette drôle de sensation d’avoir déjà été dans les deux cas. Et ça me trouble au plus haut point.
Je continue donc ma route et me dirige vers la dernière porte. Je l’ouvre et trouve l’habituel couloir. Je le remonte et ouvre la porte au bout.
La pièce devant moi est une chambre d’hôpital. Plus vaste. J’entre et la porte se referme derrière moi.
Les murs de la pièce sont blancs, avec cette ignoble fibre de verre en chevrons. Il n’y a aucune fenêtre. Sur le mur de droite trône un lit d’hôpital vide. Un sentiment étrange m’envahit. Je crois comprendre. Je me retourne. La porte à disparue. Je suis coincé. Il n’y a qu’une issue: affronter le destin que je m’efforce d’éviter depuis que je suis arrivé.
Je m’approche du lit et m’y assois. Puis je m’allonge. Je ressens cette sensation d’avoir le cul à l’air. Et c’est normal car je suis en chemise d’hôpital. Un appareil à côté de moi sonne. C’est mon électrocardiogramme qui est plat. J’entends les voix des docteurs autour de moi qui discutent en s’éloignant.
-Ça ne sert à rien d’insister, il a fait une rupture d’anévrisme.
-C’est sa femme qui nous a prévenue, il est tombé d’un coup alors qu’il regardait la télé dans son canapé. Heure du décès : 22 heures 47.
-Ça fait quand même peur on est peu de choses.
Oh oui docteur on est peu de choses. Ma vie à été plus courte que je ne le pensais.
La lumière aveuglante au-dessus de moi s’éteint lentement alors que je sombre dans le noir.
Je n’ai fais que passer.

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