Angèle
– On arrive bientôt ? Demanda Jonathan.
Son père, qui conduisait la petite voiture remplie à raz-bords de valises et de sacs, jeta un œil sur le GPS lancé sur son téléphone, puis soupira.
-Pour être honnête avec toi je n’ai aucune idée de où on est. Je pense que le GPS est planté. Tu peux essayer de relancer mon téléphone, s’il te plaît ?
Le petit véhicule fonçait, dans les limites imposées par la loi, sur la route bordée d’arbres depuis plusieurs heures.
Au détour d’un virage, la voiture fit un violent écart pour éviter un arbre tombé sur la route. Le véhicule l’évita de quelques centimètres à peine, puis reprit sa vitesse initiale.
Une fois remis de ses émotions, Jonathan allait saisir le téléphone accroché au tableau de bord par une ventouse quand celui-ci se mit à afficher des points de couleurs cachant l’application. Jonathan appuya sur le bouton pour l’éteindre, mais l’appareil ne voulais rien entendre.
-J’y arrive pas, papa.
-Ne t’embête pas on va s’arrêter ici pour faire une pause et savoir où l’on est.
L’afficheur du téléphone devint intégralement blanc quand le véhicule passa devant le panneau d’entrée d’agglomération indiquant « Somnore ».
Louis, le père de Jonathan, pouffa de rire en lisant le panneau.
-Somnore, dit-il. Ça doit être une ville remplie d’hôtels avec un nom pareil.
Jonathan ne répondit pas. Du haut de ses quatorze ans, il en avait plus que marre des blagues de son père. Elles étaient plus pourries les unes que les autres, et pourtant son géniteur était persuadé d’être drôle. Jonathan, malgré tout le respect qu’il devait à son père, et Dieu sait s’il le respectait, le trouvait plus ridicule que drôle. La route semblait interminable. Ils avaient désormais dépassés le panneau indiquant l’entrée dans la ville depuis plusieurs kilomètres, mais ils continuaient de rouler au milieu des arbres.
-Papa? Lâcha finalement Jonathan.
-Oui, Jo?
L’adolescent marqua une pose puis eu un petit sanglot. Ses yeux se remplirent de larmes qui refusaient de couler.
-Maman ne manque, finit-il par dire.
Son père tourna la tête vers lui et lui posa la main sur l’épaule. Jonathan regardait ses pieds.
-Je sais, fils, répondit Louis. Je sais.
Jonathan releva les yeux vers la route et hurla.
-Attention !
Louis tourna la tête précipitamment et appuya de toutes ses forces sur la pédale de frein. Le pare-choc de la petite voiture noire s’arrêta à quelques centimètres des tibias d’une jeune fille de l’âge de Jonathan. Celui-ci la regarda, comme sous le charme. De taille moyenne, les cheveux longs d’un noir corbeau, les yeux verts émeraude, la fille était plutôt concentrée sur le chauffeur.
-Ca va pas non, cria-t-elle. Pour une fois que je traverse sur le passage piéton !
Sur ces mots, elle continua son chemin sous le regard abasourdi de Louis et sous les yeux déjà amoureux de Jonathan.
La suivant du regard, ils s’aperçurent qu’ils était en ville. Plus d’arbres, ou très peu. Des maisons, une fontaine sur la gauche, une bibliothèque à droite.
Louis se retourna pour regarder derrière mais se rappela bien vite qu’il ne pouvait rien voir, car la vue était bouchée par toutes les valises. Il regarda alors dans chacun de ses rétroviseurs. Pas de forêt à l’horizon, ils étaient au cœur de la ville.
-On était pas en forêt y’a trois secondes ? demanda Louis.
-Je… Je sais pas, répondit Jonathan. Je regardais mes pieds.
-On va se dégoter un gîte ou un truc du genre pour passer la nuit, t’en penses quoi ?
Jonathan chercha des yeux l’heure de la voiture, mais le chiffre des minutes changeait plusieurs fois par secondes. Il regarda alors sa montre connectée et s’aperçut qu’elle n’avait plus de batterie. Idem pour son téléphone et celui de son père.
-J’ai aucune idée de l’heure qu’il est, répondit finalement Jonathan. Mais je suis pas contre une pause, j’en ai marre de la voiture.
Ils roulèrent encore quelques centaines de mètres puis le véhicule s’arrêta devant une large maison devant laquelle un panneau indiquait, solidement ancré dans l’herbe du jardin en façade, « Chambres à louer pour une ou plusieurs nuits ». Juste en-dessous, un petit panneau avait était ajouté, pour compléter l’information. « Petits déjeuners compris ».
Le quartier sembla paisible à Louis, ce qui le rassura. Il savait que Jonathan voudrait sortir se balader seul ce soir. Il le faisait tout le temps en ce moment. Depuis que sa mère était partie. Depuis ce stupide accident de moto.
Louis sentit ses yeux se mouiller, mais il se retint. Il ne voulait pas pleurer devant son fils, il n’avait pas besoin de ça.
Il sortit du véhicule, accompagné de son fils. Quand ils s’éloignèrent, la voiture se verrouilla seule en émettant un petit signal sonore. Ils furent rapidement sur le perron de la maison et Louis approcha la main de la sonnette. La porte s’ouvrit avant qu’il n »eût le temps d’appuyer.
-Bonjour, dit la femme d’âge mûr qui se tenait dorénavant dans l’ouverture. Je vous attendais.
Louis eut l’air surpris.
-Oh, euh… Il doit y avoir un malentendu. Nous n’avons pas réservé.
-Je le sais, répondit la femme. Les gens ne réservent jamais quand ils viennent à Somnore. Il est fréquent qu’ils arrivent par surprise.
-Oui, répondit Louis. C’est un peu ce qui nous est arrivés. Notre GPS est tombé en panne et nous n’avons aucune idée de où nous sommes. Pourrions-nous passer la nuit dans votre établissement ?
-Bien sur. Nous sommes la pour ça. Entrez je vous prie.
La chambre était grande, avec un lit pour chacun des deux hommes. Une porte a droite donnait un accès à une salle de bains assez sommaire mais tout de même équipée d’une douche et d’un lavabo.
-Les toilettes sont sur le palier, communs a tout l’étage, dit la dame. Ils sont indiqués par un petit panneau. Impossible de se tromper.
-Merci Madame, répondit Louis.
Jonathan enchaîna sur un timide merci a peine audible.
-J’oubliais, continua la propriétaire. Il est bien entendu interdit de manger dans les chambres. Pour le repas de ce soir, j’aurais pu vous conseiller un bon petit restaurant à peine cent mètres plus loin mais il est fermé aujourd’hui. Comme vous êtes nos seuls clients, vous pouvez vous joindre à nous pour le souper.
-C’est très gentil de votre part madame, dit Louis, mais nous ne voudrions pas…
-Ce sera servi à dix-neuf heures, le coupa la femme.
Louis fut surpris du ton impératif utilisé. Il sourit.
-Très bien. Dix-neuf heures. Merci à vous.
-A tout à l’heure messieurs.
Elle ferma délicatement la porte, et Louis se retourna vers son fils.
-Et bien, dit-il. Elle est dure en négociations !
Jonathan sourit sans répondre. Il regarda une horloge murale à aiguilles qui indiquait que le repas serait servi dans vingt minutes. Sa trotteuse ne semblait pas dans sa meilleure forme, ce qui laissa Jonathan présager d’un décalage horaire indéterminé. Il s’assit sur un des lits et fut agréablement surpris par son confort.
-On ira chercher nos affaires pour la nuit dans la voiture après manger, dit finalement Louis, s’asseyant sur l’autre lit. Tu es penses quoi ?
Jonathan marmonna ce qui semblait être une affirmation. Son père s’assit sur l’autre lit, face à lui et prit une grande inspiration.
-Tu sais, commença-t-il.
-Le repas est servi, dit la voix de la femme derrière la porte.
Louis, surpris, écarquilla les yeux. Puis il pouffa de rire, accompagné par Jonathan.
Chacun d’un côté de la table, Louis et Jonathan se regardaient fixement sans comprendre. La table était assez vaste pour recevoir une douzaine de personnes mais ils n’étaient que deux. La femme ne dinerait visiblement pas avec eux.
Dans leurs assiette, que la femme avait ramenées quelques secondes plus tôt, il y avait pour Jonathan une énorme pièce de bœuf grillée avec des frites, et pour Louis une salade César aux dimensions impressionnantes. Ce qui les étonna le plus était que c’était a chacun leurs plats favoris, et qu’ils n’en avaient pas parlé à la femme. Comment l’avait-elle su ? Ou était-ce un pur hasard ?
Ils mangèrent le délicieux contenu de leurs assiettes et se levèrent pour remercier leur hôte. Mais impossible de la trouver. Ni à la cuisine, ni dans le salon, ni même dans les pièces attenantes. Ils se dirigèrent vers la porte et sortirent. Une fois arrivés à la voiture, Louis récupéra deux petites valises sur les sièges arrières contenant le strict nécessaire pour un arrêt a l’hôtel. Il avait prévu qu’il faudrait plus d’une journée pour faire la route. Il était inutile de se fatiguer et de courir le risque de s’endormir au volant en roulant de nuit après une journée complète sur la route.
Un arbre. Couché sur la route.
Louis l’avait subitement vu comme un flash. Il fut subitement étourdi et sentit une légère douleur dans la nuque. Il y passa la main.
-Ca va, papa ? demanda Jonathan.
Louis reprit ses esprits.
-Oui. Oui. Juste un peu fatigué. Et la digestion qui commence, je suppose.
Il referma la voiture, les deux valises à ses pieds.
-Tu peux aller te balader si tu veux, continua-t-il. Je vais remonter nos valises.
Jonathan sourit.
-J’allais te le demander.
-Je sais.
Louis rendit le sourire à son fils.
-Tu veux de l’aide pour rentrer les valises? demanda Jonathan.
-Non ça va aller, elles ne sont pas lourdes. Essaie de ne pas rentrer trop tard on a encore de la route demain.
-Promis papa.
Louis regarda sa progéniture s’éloigner, les mains dans les poches de sa veste, le dos voûté.
Un vrai ado, se dit-il. Pas de doutes.
Jonathan erra un moment dans la ville sous le soleil couchant. Une vingtaine de minutes après avoir quitté son père, les lampadaires s’allumèrent. Il n’avait croisé que peu de monde, et aucune voiture. Il avait vraiment l’impression d’être tombé dans le trou du cul du monde.
Il arriva finalement au centre ville et retrouva des éléments de décors familiers. La bibliothèque était désormais sur sa gauche. La fontaine était à droite, de l’autre côté de la rue. Celle-ci lui fit froid dans le dos. En effet, il pensait qu’il s’agissait d’un personnage de dos. Effectivement la statue surplombant la fontaine tournait le dos à la rue. Mais ce personnage, c’était La Faucheuse.
Jonathan n’était pas doué en arts, ni en histoire. Ni en rien, ailleurs, au grand désespoir de sa mère. Mais il connaissait La Faucheuse et sa signification.
-Hey salut !
Jonathan sursauta. La voix, féminine, venait de derrière lui. Il se retourna et resta bouche bée. D’une taille moyenne, de longs cheveux d’un noir corbeau, des yeux verts émeraude. Jonathan la reconnu immédiatement.
-Euh, salut, répondit timidement Jonathan.
-Je te reconnais, lança-t-elle. C’est toi qui a failli me foutre en l’air sur la route tout à l’heure !
Jonathan rougit.
-Non, c’est pas ça du tout ! C’était mon père qui conduisait et je l’ai distrait… A vrai dire on se croyait encore dans la forêt…
La fille l’écoutait attentivement et laissa un grand blanc à la fin de la phrase de Jonathan. Puis elle sourit et éclata finalement de rire.
-Du calme, Jonathan ! Je te fais marcher !
Jonathan sourit puis se ravisa.
-Comment tu connais mon nom?
La fille rougit à son tour.
-J’ai du entendre ton père le dire, je suppose. Moi c’est Angèle. Enchantée.
-Angèle ? C’est pas commun. Mais très joli.
Elle lui sourit de nouveau.
-Tu fais quoi par ici en pleine nuit? demanda-t-elle.
-J’arrive jamais à dormir si j’ai pas été me balader un peu. Et toi?
Elle baissa les yeux et le regarda en coin, le sourire aux lèvres.
-J’accompagne les âmes égarées.
Elle éclata de rire. Jonathan l’accompagna.
-T’es bizarre comme fille. Drôle, mais bizarre.
-Tu veux je te fais visiter ? Somnore by night, la visite que même New York et Paris nous envient.
-Grave !
Elle lui tendit la main et il la saisit. Ils se dirigèrent vers la bibliothèque.
-Voici la bibliothèque. Bon, la, elle est fermée. Mais sinon elle est sympa.
-Tu es d’ici?
-Oui, répondit-t-elle. J’ai toujours vécu ici.
Elle se retourna face à la rue et enchaîna.
-La statue flippante faut pas y prêter attention. C’est un délire du chef. Enfin je veux dire du maire.
Elle posa son index gauche contre sa tempe et le fit pivoter.
-Il commence à avoir un peu de bouteille alors il devient loufoque.
Jonathan pouffa de rire.
-Excuse-nous pour tout à l’heure. C’est ma faute si l’on père à failli t’écraser. J’étais en train de lui parler et puis il y avait cette forêt… On ne s’est même pas rendu compte qu’on était arrivés en ville.
Elle posa sa main sur son épaule.
-Ne t’inquiètes pas. Je sais. Ça arrive souvent ici. Somnore est un endroit surnaturel.
Il la regarda de travers. Elle n’avait pas l’air de rire.
-Tu es toujours bizarre, dit Jonathan, mais beaucoup moins drôle d’un coup.
-Les gens ici font des choses que personne n’a jamais vu faire. Et ils savent des choses que personne ne devrait savoir.
Jonathan la regarda fixement et balbutia.
-Je… Je ne comprends rien à ce que tu me racontes.
Elle sourit. Un sourire doux, qui rassura Jonathan.
-Suit-moi, dit-elle en lui prenant la main. J’ai des trucs à te montrer. Tu n’est pas ici par hasard.
Ils errent dans les rues de la ville, plongée dans une semi-obscurité, seulement éclairés par les lumières jaunâtres des lampadaires, jusqu’à arriver à un pont. Ne disposant quand à lui d’aucun éclairage public, il n’apparut qu’au dernier moment à Jonathan. En contrebas, on entendait le flot continu d’une rivière avec un débit assez élevé. Les côtés du pont, en pierre, s’élevaient à moins d’un mètre de hauteur. Dans le noir quasi total, les pupilles encore dilatées par les lumières de la ville, Jonathan n’arrivais pas à évaluer la longueur de l’édifice. Il marcha dessus, suivant Angèle, sur une trentaine de mètres. La, elle s’approcha du bord, s’assit dessus, et pivota pour avoir les pieds au-dessus du vide.
-Arrêtes tes conneries, lança Jonathan. Je ne sais pas nager, je ne pourrais pas t’aider !
Dans le noir, il put tout de même distinguer son sourire.
-Je ne vais pas tomber, ne t’inquiètes pas. Tu viens a côté de moi? C’est d’ici que tu pourra voir ce que je veux te montrer.
Il hésita longuement.
-Je ne sais pas si…
-Tu risques quoi? le coupa-t-elle. De tomber ?
-Oui. Je ne sais pas nager, je viens de te le dire.
-Tu ne demandes que ça depuis presque un an. Combien de fois as-tu voulu sauter du pont des cent mètres, après la mort de ta mère ?
Jonathan fut surpris par cette réponse pleine de vérité et eut une vision, comme s’il embarquait à bord du Rêve Express. Il était debout, en pleine journée, sur le parapet du pont des cent mètres comme on l’appelait là-bas. Il voulait sauter. Sa mère lui manquant tellement. Il voulait la retrouver. Plus rien n’avait d’importance. Il fit un pas en arrière. Il voulait le faire, mais n’avait pas le courage. Il avait toujours été peureux. Il se tourna pour retourner chez lui mais un arbre couché lui barrait la route.
Il sursauta. Il était de nouveau dans le noir. Deux mètres devant lui, Angèle lui tournait le dos, les pieds battant dans le vide, fredonnant « Knockin’ On Heaven’s Door », de Bob Dylan. La chanson préférée de la mère de Jonathan.
Il s’approcha lentement, tourna le dos au mur à droite d’Angèle, et s’assit. Il pivota lentement, posa le pied gauche sur le parapet, puis le droit. Il prit une profonde respiration et continua son mouvement. D’abord le pied gauche, lentement. Puis le droit.
Il avait désormais les deux pieds dans le vide. Sous lui, le bruit de l’eau semblait s’être calmé. Il y avait bien un léger bruit sourd, mais qu’il n’arrivait pas à associer au ruissellement d’une rivière.
Lentement, ses yeux finirent de s’acclimater à l’obscurité. Et il distingua ce qui coulait en contrebas. Il tourna la tête pour regarder Angèle. Celle-ci lui souriait. Un sourire doux et compréhensif.
-Je ne comprends pas, dit-il.
-Bien sur que si tu comprends. Ne te cache pas la vérité. Je sais que ce n’est pas évident. Je suis passée par là également avant de devenir ce que je suis. Je ne voulais pas le croire.
Il regarda au ciel et ne vit aucune étoile.
-C’est la forêt ? demanda-t-il. C’est ça ?
-Oui. C’est là que c’est arrivé. Bien entendu, tu n’est pas obligé d’y aller tout de suite. Mais plus vite tu le fait, plus vite tu es tranquille.
Il la regarda a nouveau. Elle lu dans ses yeux qu’il allait le faire. Elle l’avait fait assez souvent pour le reconnaître.
-Passe le bonjour à ta maman de ma part, dit-elle.
Il posa les deux mains sur le muret, souleva les fesses, et partit en avant.
Sans un bruit, sans un cri, il tomba.
Louis entra dans la chambre avec les deux valises et les posa devant les lits. Il s’apprêtait à ouvrir la sienne quand il vit que la porte de la chambre était restée ouverte. Il était incapable de dire si il l’avait fermée ou non. Il s’en approcha et regarda dans le couloir. Une lueur rouge semblait venir de l’escalier qu’il venait d’emprunter. Il sortit de la chambre et ne pensa même pas à refermer derrière lui.
La lueur clignotait lentement, s’éteignant et se rallumant progressivement sur une période d’environ cinq secondes. Elle illuminait toute la cage d’escalier, semblant venir de partout et de nulle part à la fois.
Louis s’approcha de l’escalier, puis descendit lentement, faisant courir sa main le long de la rambarde. Arrivé en bas, il vit que la lueur venait de la gauche. Vers la cuisine. Il s’y dirigea donc lentement. Quand il fut dans l’encadrement de porte, un bruit de claquement, comme une porte qu’on claque, le fit sursauter. La lueur disparut. Il continua cependant sa progression et pénétra dans la cuisine.
Cette dernière était propre et bien rangée. Dans le noir, Louis aperçu la lueur rouge sous un bâti de porte fermée sur sa gauche. Il s’en approcha et ouvrit lentement la porte, son visage se faisant lentement inonder de la lumière forte mais étrangement pas aveuglante.
Derrière la porte, un autre escalier semblait descendre dans les entrailles de la terre, suivant un long couloir. La lueur venait d’en bas. Loin en bas.
Louis, poussé par une curiosité qu’il ne se connaissait pas, entreprit la descente.
Quand il fut une dizaine de mètres plus bas, la porte claqua violemment derrière lui, lui faisant de nouveau faire un bond. Poussé par un fort sentiment, il continua malgré tout sa descente. Il arriva en bas après ce qu’il estimait être une cinquantaine de mètres de dénivelé.
La pièce en bas était vaste. Assez vaste pour qu’il ne puisse discerner les parois autour. L’escalier débouchait comme ça, au milieu de nulle part. Le sol était d’un rouge sombre. La lueur semblait émaner du plafond, qui n’était d’ailleurs pas visible non plus.
Louis se pencha et posa un genou à terre. Il toucha le sol de sa main et enfonça sa main dedans pour en prendre une poignée qu’il porta devant son visage et en faire couler le contenu entre ses doigts.
Du sable, se dit-il.
Du sable rouge.
Comme sur la plage, ce jour maudit. Du sable rouge.
Il se releva et se retourna. Il mit plusieurs secondes à se rendre compte que l’escalier avait disparu. Volatilisé, comme si il n’avait jamais existé. Aucune trace de sa présence sur le sol meuble.
Il se surprit lui même à ne pas s’inquiéter. Depuis l’accident de sa femme, il ne s’inquiétait plus que pour son fils. Tout le reste n’était que futilité. Il commença à avancer dans le sable, ses pieds s’enfonçant dans la matière molle. Quand il regarda ses pieds il se rendit compte que, à chacun de ses pas, le sable ne rendait pas de l’eau. Il dégorgeait du sang.
L’instant d’après il était sur une plage. Derrière lui, le bruit du ressac brisait le silence. Au loin, des mouettes jacassaient sans relâche. Et devant lui, à ses pieds, le corps de sa femme était allongé. Tombée de sa moto en voulant absolument en faire sur la plage. Elle s’était cognée violemment contre un rocher après avoir été bien trop vite. Son casque, qui n’avait pas été attaché à la jugulaire, avait volé sur plus de quinze mètres. Quand à la tête de Yaëlle, elle s’était fendue en deux lors du contact violent avec la pierre. Louis était au sol, à genoux. Tentant de lui parler. Tentant de la ramener. Les mains dans le sable. Du sable rouge. Rouge du sang de sa femme.
-Elle ne vous en veux pas.
La voix provenait de derrière lui. Une voix féminine.
Louis se retourna lentement. Il était désormais à une dizaine de mètres du lit d’une rivière, la nuit. Face à lui, une jeune femme, au long cheveux noirs corbeau.
-C’est vous que j’ai failli renverser tout à l’heure en voiture. Je vous demande pardon, j’étais ailleurs…
-Vous l’êtes toujours.
Louis plissa les yeux.
-Qui êtes-vous ? Demanda-t-il finalement.
Elle sourit.
-Je m’appelle Angèle. Je suis la pour vous aider.
-M’aider à quoi? C’est quoi cet endroit ?
Angèle éclata de rire. Entre deux éclats elle glissa:
-Vous êtes exactement comme votre fils. Vous refusez la vérité. Il a été dur à convaincre, pour quelqu’un de son âge.
-A convaincre de quoi?
-Que vous êtes à Somnore. Votre dernière étape.
Angèle arrêta de rire et se recula en partant un peu vers la droite. Derrière elle se dressait un pont d’une cinquantaine de mètres de haut. Elle pointa le doigt vers le haut, et Louis suivi la ligne imaginaire tracée par l’index. Il vit quelqu’un, assis sur le parapet, tout en haut. La personne sauta au moment où Louis le reconnu.
-Jonathan, non !
Il ne put que suivre des yeux la chute de son fils qui plongeait dans la rivière.
Aussitôt il couru alors que Angèle lui lançait :
-Il n’est pas trop tard pour le rejoindre !
Louis plongea à son tour, d’à peine quelques dizaines de centimètres. Mais il se rendit vite compte que ce n’était pas de l’eau. C’était des corps humains. Des corps vivants. Ils se laissaient aller au gré du courant, sans se débattre, l’air apaisé.
-Jonathan ! Jonathan!
Il retrouva rapidement son fils.
-Papa, dit il l’air serein. C’est la fin du voyage.
-Mais qu’est-ce que tu racontes ?
Jonathan sourit.
-On va retrouver maman.
-Non Jonathan! Maman est morte ! Elle est morte à cause de moi ! Je n’aurais jamais dû la laisser monter sur cette moto !
Jonathan lui sourit tendrement.
-Et nous papa. Tu penses que l’on est vivant? Ouvre les yeux et accepte la vérité.
Louis le regarda d’un air interloqué. Puis ferma les yeux.
Un arbre. Couché sur la route. Au détour d’un virage. Un violent écart pour l’éviter.
-Non, Louis. Ce n’est pas la vérité.
C’était Angèle, sur la rive.
-C’est la version que vous avez inventé pour vous cacher l’accident.
Un arbre. Couché sur la route. Louis essaie de l’éviter. Mais il est trop tard, et la voiture roule trop vite. Le véhicule s’encastre dedans dans un grand fracas de tôle, de bois et de feuilles.
La route est peu fréquentée. Les secours sont longs à arriver. Et quand ils arrivent, il est trop tard. Bien trop tard.
Louis rouvrit les yeux. Il venait de tout comprendre.
Devant eux, la rivière de corps les menaient vers une grande lueur blanche.
Louis saisit son fils par les épaules et à deux ils se laissèrent aller dans le flot de la rivière. Une rivière d’âmes.
-Tu as raison, dit finalement Louis. On va retrouver maman.
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